Ma plus belle Pentecôte :
à Foy-Notre-Dame en 1946
En ce 31 mai 2020, au moment où, toujours « confinés », nous célébrons cette fête, je me souviens des Pentecôte de mon passé et particulièrement le weekend des 8, 9 et 10 juin 1946.
Le scoutisme catholique belge a invité ses routiers (à partir de 17 ans environ) à veiller ensemble pendant 3 jours sur les hauteurs de Dinant autour d’un « Feu de Pentecôte ».
C’est
la première grande rencontre scoute de l’après-guerre. Un an et un mois après
la capitulation de l’Allemagne de Hitler, et dans un village symbolique,
Foy-Notre-Dame. C’est à Foy que 18 mois plus tôt fut stoppée définitivement l’offensive
nazie dans les Ardennes les 24 et 25 décembre 1944, à quelques km de la Meuse.
J’ai 7 ans. Mes parents font partie d’une branche du scoutisme qu’on a appelée Routiers Maitres, Route des Hommes, Routiers Mariés, et enfin Fraternité de Route. Papa, René Thielen, a sans doute eu des contacts avec le scoutisme de Baden-Powell lorsque enfant réfugié, ayant fui Nieuport sous le feu allemand à la fin octobre 1914, il a vécu plus de 4 ans à Folkestone, près de Douvres sans avoir vu ses parents restés à Bruxelles. Et rentré en Belgique il a grandi dans la 21e unité scoute de La Chapelle, l’église de Breughel, dans les Marolles.
Il se marie le 11 mai 1938, avec Denise Reuliaux, et comme beaucoup de ses compagnons font de même ils décident de continuer l’aventure scoute en familles. Cela fera vite une bonne trentaine d’enfants. Je suis le seul survivant de la réunion de création de la chaîne (même si je n’étais pas né) et dans la même position protégée je participe au premier camp. Claude Moreau, pionnier de Louvain-la-Neuve et créateur du Sec-Shop est aussi de ce camp mais c’est déjà un vrai garçon.
Revenons le samedi 8 juin 1946, veille de la Pentecôte. Les deux Thielen masculins, René et Paul, partent en train, avec wagons spéciaux. Ma maman reste à la maison, elle est enceinte et ma sœur Jacqueline n’a pas un an. Départ à la gare du Quartier-Léopold, direction Dinant. Passage à Ottignies (les quais n’ont pas changé), à Gembloux, à Namur. On remet de l’eau quand nécessaire. Il est prudent de ne pas se mettre à la fenêtre, on risque des escarbilles dans l’œil.
De
Dinant on va monter sur le plateau ouest côté Ciney. Une dizaine de km. Dans
une superbe vallée se déploie une nuée de tentes. Des petites flammes
individuelles mais au centre le grand Feu qui va être veillé jour et nuit.
C’est
le temps des retrouvailles. Le temps des survivants. Beaucoup de scouts sont
morts pendant la guerre. On compte alors 845 morts. Un grand panneau le
rappelle. Je me souviens de quelques noms. J’en écris deux. Un ami de mes
parents, Gruslin, tué dans les bombardements de Londres. Un résistant, Stéphane
Wautriche, fusillé en 1944 dans les dernières heures de la retraite des
Allemands. Ses parents ont pu lui dire adieu par une petite fenêtre du local où
le condamné était enfermé. Autre situation troublante, retenus par les Russes, des
déportés et prisonniers ne sont pas encore rentrés de captivité.
Papa a la joie de revoir un ami de Bastogne, René Louis, fournisseur en matériel agricole, qui a survécu au siège de la ville. Il reviendra chaque année nous dire bonjour à Etterbeek à l’occasion du salon de l’Agriculture.
La parole s’échange un peu partout mais la musique tient une très grande place. C’est une époque où l’on siffle en travaillant, on chante en pelant les pommes de terre, à tout moment quelqu’un peut sortir un harmonica, parfois diatonique, je ne comprends pas ce qu’est « diatonique » mais ce doit être plus difficile. Les carnets de chants s’échangent, les textes originaux se recopient.
Ce
samedi 30 mai 2020, j’arrive à déchiffrer une photo très floue d’une copie
d’époque.
Ce sont des canons que je n’ai jamais oubliés (sauf celui du feu de Pentecôte). Mon préféré reste celui du Tison.
Le canon du feu de Pentecôte
Que ta flamme brille en nos cœurs
Que ton esprit sur nous descende
Réchauffe-nous de ta chaleur
Fais notre route belle et grande
Le canon du Feu
Ô flamme monte
Que ta lumière nous purifie
Et guide nos cœurs
Le canon du Tison
Entendez-vous dans le feu
Tous ces bruits mystérieux
Ce sont les tisons qui chantent
Compagnon, sois joyeux
Le canon de la Fin du jour
Le jour descend
La nuit s’étend
Sur notre camp
Le canon de l’Au-revoir
Au revoir amis, entonnons notre dernier chant
Quittons-nous ici, chacun sa route reprenant
Au revoir amis, ayons foi en de meilleurs temps.
La nuit ouvre le temps du silence. Recueillement près du grand feu réalimenté régulièrement pour qu’il ne s’éteigne plus. Après ce weekend de 1946, de nombreux groupes scouts vont organiser des veillées au cours de camps de weekend de Pentecôte. Des jeunes vont se relayer devant le feu toutes les heures ou toutes les demi-heures. Le temps de la réflexion solitaire.
Mgr Charrue, évêque de Namur, vient saluer les participants au camp. La messe au camp avec des milliers de participants est un moment impressionnant même si le célébrant est tourne encore le dos aux participants, sauf lorsqu’il se retourne et ouvre les bras pour dire « Dominus vobiscum ». Certains aumôniers ont certainement célébré dans le maquis. On ne manque pas une petite visite à l’église de Foy-Notre-Dame célèbre pour son pèlerinage séculaire.
Au dernier feu de camp, chaque clan routier est invité à plonger dans le feu un gros morceau de bois. On le retire avant qu’il soit consumé et sur le tison est appliquée une petite plaque de fer avec en relief l’emblème du « feu » de 1946.
La plupart de ceux qui ont vécu ce feu de Pentecôte
sont « rentrés à la maison » pour toujours, comme le symbolise un
signe de piste, à la craie ou en petites pierres.
En bois, à la craie, en
petites pierres
Je suis rentré à la maison
Pour la fin d’une rencontre ou un décès, c’est le même « chant des
adieux ».
Faut-il nous quitter sans espoir,
Sans espoir de retour,
Faut-il nous quitter sans espoir
De nous revoir un jour
Ce n'est qu'un au revoir, mes frères
Ce n'est qu'un au revoir
Oui, nous nous reverrons, mes frères,
Ce n'est qu'un au revoir
Pendant 3 jours on a dit adieu à la guerre et on a invité la paix. Il y a des visiteurs étrangers, l’Europe se prépare en douce.
L’année suivante, en 1947, le scoutisme de toutes convictions va rassembler à Moisson, pas très loin de Paris, le « jamboree de la paix ». La paix n’a pas encore bien retiré toutes les épines de son nid. Des Allemands (Sarrois) et des Autrichiens sont accueillis en visiteurs. Les scouts « israélites » sont reçus avec émotion. Mon papa a vécu avec ses amis le Jamboree de 1929 et lors de la Libération de 1944 il a ressorti son fanion.
À Foy j’avais donc 7 ans et 4 mois, et je n’ai pas ramené de tison de bois de Foy-Notre-Dame. Mais cette Pentecôte reste la plus marquante de ma vie. C’est une Pentecôte chrétienne mais elle est ouverte pour tous les artisans de paix. À relire le récit de la première Pentecôte, celle-là était déjà la fête de toutes les ouvertures.
Dans mon cœur j’ai gardé un tison encore chaud. Pour le ranimer il suffit d’un bon coup de vent ou d’un souffle soutenu.
Reste-t-il encore du bois à brûler ? Dans ma vie j’en suis au temps des braises et un feu peut couver longtemps.
Paul Thielen
Jour de
Pentecôte 2020
Mémoires écolières
SUPER cher Paul !
RépondreSupprimerRenardeau à sa guise
Beau récit
RépondreSupprimerElisabeth Brouyaux, membre de Fraternité de Route, qui m'a apporté beaucoup!