Une histoire tragique vécue par des Scouts de Sainte-Gertrude en aout et septembre 1944. J'ai trouvé ce texte sur le web. Je le transmets sans plus pour que ces morts ne s'oublient.
Ecrit par un Roger Weber qui est né en 1926 ? Je ne sais pas s'il vit encore.
Avant-propos
Extraites de « Ma guerre
d’adolescent – j’avais 14 ans en 1940 » (Roger Weber, 2004), les pages qui
suivent relatent un épisode mouvementé vécu par l’auteur, dans les derniers
jours précédant la libération de Bruxelles en septembre 1944.
Le jour fatidique du samedi 14 août
1944
Voilà donc le fameux week-end tant attendu par mes
amis scouts et moi-même, celui du 15 août 1944 ! Quatre jours de camp à La
Fresnaye (près de Dworp, en Brabant flamand), endroit bien connu de la
Fédération des Scouts Catholiques et B.S.B (dits Scouts Neutres). Un endroit
merveilleux en pleine nature où nous allons avec plaisir et où nous campons à
la dure, en principe dans des chalets de bois, type trappeur.
Mais ce lieu servait aussi à la Résistance du Front
de l'Indépendance, un des grands mouvements de Belgique, ce qui ne se savait
absolument pas. Les tirs étaient légers: carabines à plomb et quelques 22
longs. Les armes de guerre étaient cachées et seuls les quelques chefs
connaissaient la cache! En réalité, nous étions inscrits secrètement dans les
M.P. (Milices Patriotiques) et au jour "J" nous devions fonctionner
et de ce fait recevoir une arme et entrer en action… ce qu'on ne réalisait
absolument pas !
Ainsi donc, comme lors de pas mal d'autres week-ends,
un groupe de routiers-scouts du clan du Mélèze de l'Unité Ste-Gertrude
d'Etterbeek-Bruxelles se rendait par ses propres moyens à La Fresnaye. Si, en
cette période troublée, les scouts ne pouvaient plus porter l'uniforme suivant
une ordonnance de l'occupant allemand, cela ne nous empêchait pas de quand même
l'avoir gardé en y ayant enlevé badges et insignes et nous être abstenus de
porter le chapeau traditionnel. Nous gardions malgré tout une allure quelque
peu militaire. La meilleure preuve c'est que mon père qui assistait à mon
départ s'étonnait de mon accoutrement ainsi que du fait de partir trois jours
en rase campagne en des moments de guerre aussi incertains. On aurait dit que
ce "vieux renard" sentait les risques pesant sur notre escapade.
L'équipe des "mordus" se retrouva néanmoins
presqu'au complet ce jeudi 12 août 1944. Elle était composée de huit jeunes
gens de 17 à 32 ans. Les nombreux autres Routiers du Clan n'étaient pas là. Il
faut savoir que les réunions étaient facultatives. D'autre part, c'est la
guerre et les Alliés sont en pleine bataille en Normandie. Pas mal de parents,
sans doute, ont empêché le gamin d'aller batifoler à la campagne. Tout cela
indépendamment du temps radieux de ce 15 août.
Quatre jours de vacances au grand air en cette
période de guerre, quelle aubaine ! Ceux qui avaient encore la chance d'avoir
un vélo en ordre de marche - j'étais du nombre - rejoignaient le camp par ce
moyen de locomotion. Je rattrapai le chef Godfrin sur la piste cyclable de
Rhode-St-Genèse et arrivai avec lui sur place vers 15 H, si mon souvenir est
bon. J'avais 18 ans et j'étais ce jour là en pleine forme.
Vers 17 H, nous nous retrouvâmes au complet au chalet
presque terminé, bâtisse que nous avions construite pendant de longs mois sous
les conseils avisés de notre chef, architecte de métier. Cet abri plus ou moins
confortable pouvait loger l'effectif d'un peloton (30 hommes).
Vers 18 heures, le Senior me chargea avec trois
jeunes de remplir les paillasses à la ferme, proche d'un quart d'heure et,
mission remplie, nous entamons le trajet de retour. Soudain, sur le chemin de descente à 50 mètres de nous,
nous fûmes tout à coup surpris par un drôle d'individu. Muni d'un fusil Mauser
il semblait avoir l'air d'un résistant du maquis, vu surtout le brassard à
écusson belge qu'il portait au bras de sa chemise retroussée. Il était tête nue.
Lorsqu'il nous mit en joue en vociférant "haut les mains" dans un
français courant, nous comprîmes que nous étions refaits.
De plus près, en fait, je devinais à la vue du
pantalon Feldgrau et des bottes prussiennes qu'il s'agissait tout simplement
d'un Boche, en réalité un SS, traître belge à la solde de l'ennemi. Nous
apprendrons d'ailleurs, dans les heures qui allaient suivre, que nous avions
affaire à un petit groupe d'environ 6 traîtres de diverses nationalités, Belges
surtout, le chef étant un Hollandais du nom de Walter Pfitzinger et, TOUS, ce
que j'appris plus tard après guerre, appartenaient à la GFP (Geheim Feld
Polizei), Gestapo & Sichereitsdienst !
En réalité, il s'agissait d'une descente organisée !
Le SS qui venait de nous "pincer" nous donna alors l'ordre de le
précéder, mains en l'air, en gueulant "paillasses par terre". Il nous
conduisit au camp des Scouts Neutres qui avoisinait le nôtre, dans le bas du site.
A cet endroit, le chef Walter avait installé sa zone de rassemblement. Deux
belles grandes cabanes offraient toute la place voulue pour parquer leur monde
et… appeler du renfort. A notre arrivée en colonne à cet endroit, les quelques
traîtres du groupe restant tenaient en respect un groupe de jeunes BSB (scouts
neutres) qui logeaient dans le coin, ainsi que nos quatre compagnons de
section, arrêtés dans notre chalet du haut.
La nuit commençait tout doucement à tomber et il
fallait absolument parquer tout le jeune cheptel que nous étions, afin de
permettre à ces crapules de se détendre et pour les deux tortionnaires de
savoir où se cachaient des armes. En nous parquant à l'étage, allongés l'un à
côté de l'autre, cela ne nécessitait qu'un seul gardien de palier, armé bien
entendu. Il ne faudrait pas oublier que nous étions restés les mains levées
pendant près de deux heures pour examens divers, dont l'identité, ce qui nous
avait quelque peu fatigués. Nous avons donc dormi quelques heures sur un
plancher dur mais propre. La chance fut que les planches placées l'une à côté
de l'autre et non scellées permettaient une excellente vision dans la pièce du dessous où se situait la
salle de séjour avec une belle cheminée antique. Mon voisin sur le sol était
mon grand ami Victor (Castor) et à nous deux nous avions donc remarqué
l'excellent poste d'observation que constituaient ces entre-planches. Or donc,
c'est dans cette pièce de dessous que ces bandits avaient élu domicile pour la
nuit, à l'exception du garde à notre étage qui veillait au grain. Ce fut alors
une nuit atroce, troublée par les rires de la soldatesque qui torturait les
dirigeants scouts pour connaître "la cache aux armes de guerre" dont
ils avaient cru la présence dans ce local. Seule une 22 long avait été dégotée
avec laquelle deux sous-fifres s'amusaient à faire des "cartons" sur
des cadres, des trophées et des bibelots. Ce qu'ils cherchaient c'étaient les
armes de guerre dont ils avaient eu vent par la dénonciation d'une jeune
recrue, un "mouton" peut-être, venu s'engager aux scouts BSB. Ce
dernier avait été intéressé par les ordonnances allemandes qui promettaient un
million de francs de récompense à ceux qui apporteraient des renseignements sur
la Résistance. Nous apprendrons après la libération que ce bougre de mouchard
n'aura touché que 10% d'intérêt pour sa trahison qui se soldera par plusieurs
dizaines de morts en camp de concentration et quelques années de prison, je
pense, pour lui traître à la Patrie.
Revenons aux tortures de la Gestapo observées par
deux des incarcérés (Castor et moi), toujours couchés sur les grosses poutres
qui formaient le plancher de la cabane type trappeur. Il devait être minuit, voire
une heure. Les trois victimes pressenties passaient à tour de rôle à la
question, quand tout à coup le commissaire scout Messens prit sur lui toute la
responsabilité, étant donné qu'il résidait sur place. Mais devant le peu de
renseignements donnés sur l'endroit de la cache, Walter donna ses ordres.
Ceux-ci se résumèrent à la torture. Nous vîmes alors notre chef de très petite
taille être suspendu par l'arrière de ses bras à un gros anneau inséré au
dessus du manteau de la cheminée ouverte, déculotté ensuite et, au moyen de son
ceinturon scout à grosses boucles être lacéré de dizaines de coups. Comme si
son ceinturon, marqué de la devise bien connue "be prepared", lui
dictait une certaine conduite il "succomba" sous la torture et l'horrible
souffrance lui fit donner le lieu de l'endroit stratégique. Son arrière-train
dégoulinait de sang !
A ce sujet, lors des deux premiers jours
d'incarcération à la prison de St.Gilles, je fus d’abord enfermé dans la même
cellule que lui et il me montra son derrière à nu. C'était affreux tant il
avait l'endroit en question violet et rouge sang par les coups reçus, à tel
point qu'il ne pouvait d'ailleurs s'asseoir et se trouvait obligé de s'allonger
sur le ventre pour prendre du repos. Je fus donc un vrai témoin de toutes ses
souffrances.
Mais notre compte était bon après la découverte
d'armes qui devaient être distribuées lors de la formation des groupes au jour
"J".
Le lendemain, dès 5 heures du matin, un peloton de
Feldgendarmes casqués, et armés jusqu'aux dents, dotés de leur plaque à
chaînette tristement célèbre, appelés de nuit sans doute pour
"embarquer" ce cheptel de résistants, débarquait avec force pour
encager la prise. Avant de nous embarquer, un tri rapide fut fait par le
Hauptsturmführer Walter, épargnant l'incarcération à quelques chanceux avant la
mise en route. Tri basé sur quoi, je vous le demande, si ce n'est la "tête
du client", son air benêt, son jeune âge, sa bonne tête ? En ce qui
concerne notre groupe FSC, deux gars furent écartés, Hanasis (Caniche) et
Mellaerts (Poulain). A ce dernier, voisin de la rue Champ du Roi à Etterbeek et
donc proche de mon domicile, je demandai de ramener mon vélo et de prévenir mes
parents avec les ménagements d'usage.
L'embarquement se fit alors avec brutalité, l'arme prête
à faire feu. Aucun espoir de fuite. Les deux chefs responsables furent attachés
avec des chaînes et jetés ainsi dans la voiture cellulaire sous la garde de
deux SS se faisant face. Quant au "menu fretin" que nous étions, on
nous enfourna dans un camion de déménagement à une trentaine. Nous nous
retrouvions ainsi dans une obscurité complète sitôt la porte relevée. Un
passant voyant ce fourgon de déménagement précédé d'un transport cellulaire et
suivi d'un camion de matériaux où se tenaient debout deux hommes, ne pouvait
imaginer qu'il s'agissait d'une rafle.
Pourtant, dans la benne de ce camion, se tenaient debout le sinistre
Hollandais Walter et son adjoint, la mitraillette posée sur le toit de la
cabine, prêts à descendre le premier qui ouvrirait la porte basculante. Ce qui
était d'ailleurs impossible.
Une heure plus tard, on nous débarque au siège de la
Gestapo, avenue Louise à Bruxelles, où nous sommes rassemblés dans le hall les
mains en l'air. Un quart d'heure après, deux "grosses légumes"
arrivent en civil, coiffés d'un chapeau Eden, avec des airs de PDG. Les armes
ramenées s'étalent sur une table comme pièces à conviction. Je verrai toujours
le plus gros des deux, un type colossal, ramasser un pistolet, un GP 9mm. Il le
soulève et l'examine dans un faisceau de lumière solaire qui tranchait dans la
pénombre du hall obscur, étudiant sérieusement l'arme qui lui semblait peu
connue et vociféra "Alle Terroristen zum Keller".
Ce devait être une "grosse tête" car la
soldatesque n'en mena pas large avec nous. Je jure avoir reçu un solide coup de
pied au cul d'une botte de SS, pour dégringoler l'escalier en colimaçon qui
gagnait la sous-cave à vin, vide
évidemment… qui servaient à présent de "niches" pour y asseoir les
détenus.
Nous avions tous, encore réunis, des mines déconfites
et nous ne soufflions mot. Seul ce saint homme qu'était Armand Godfrin avait
toujours le sourire et gardait confiance.
Il nous occupait par d'autres préoccupations. Par exemple, il
m'interpella en me demandant si mon programme de "compagnon" était résolu par la
réussite des épreuves ad hoc (compagnon figure dans la gradation dans la
branche Routier Scout, qui suit celui d'Aspirant). Je lui répondis alors que
seule l'épreuve secourisme manquait encore. Bon, dit-il, nous allons arranger
cela. Or il avait à l'avant bras un bandage assez conséquent mais sans gravité.
Il le défit et m'invita alors à faire plusieurs pansements, qui à la main, qui
à la jambe, nous occupant ainsi tous durant une petite heure, arrivant à la
conclusion de dire "ok, c'est en ordre pour ton programme de
compagnon." Sans le savoir, j'eus le privilège d'avoir reçu par sa poignée
de main, sa dernière nomination, dans les geôles de l'occupant nazi !
Notre dimanche 15 août 1944 se passa donc dans les
caves glacées de la Gestapo. Car ici, tout au fond de cet antre, le beau soleil
qui luisait toujours ne pouvait nous réchauffer, habillés de nos vêtements
légers de scouts, sans insigne, chemises à poches, culottes courtes, les bas
trois quarts sans floches et une paire de chaussures légères de guerre en cuir
ersatz ! Aux environs de 17 H nous fûmes embarqués pour une autre destination.
Des voitures cellulaires cette fois nous transportèrent vers d'autres cieux.
La prison
Cieux pas très lointains cependant car, après un
arrêt plus long que les autres, on entendit des grilles s'ouvrir et grincer en
se refermant. Toute illusion s'envolait car nul doute que nous étions dans une
prison, celle de Saint-Gilles. On nous
débarqua dans un immense et long couloir sans fin, vers 16H. De chaque côté,
une succession de portes, toutes munies d'un judas. Il y a un étage avec une
passerelle qui fait tout le tour. C'est l'aile B de la prison et la cellule 158
nous accueille à cinq. Au préalable, on passe un à un chez le gardien de couloir,
un vieux Feldwebel de la Wehrmacht. On remettra à ce gardien tout ce que l'on
avait en poche et éventuellement aux doigts (bagues), au bras (montre). Le
garde fouillait d'ailleurs. Puis voilà qu'arrive mon tour. J'attends bien
droit, les bras croisés. Il menace alors de me gifler parce que je suis dans
une position quelque peu hautaine, avant de lui donner mes papiers. A la
lecture de ma carte d'identité, il me regarde plus conciliant, me disant
"Weber, deutsche Nahme ?"Je lui réponds "nein" d'un ton
catégorique, ce qui me vaut de sa part un regard noir, revendicatif. On me
ressort alors de la cellule pour me placer à côté avec les deux dirigeants BSB,
ce que je trouve quelque peu bizarre comme si un premier tri avait été fait. J'apprendrai plus tard, lors du procès après
guerre, que les dirigeants étaient des commandants de secteur MP et que pour
moi il y avait des doutes sur ma
présence dans le camp, mon nom étant dans leurs tablettes sur leurs listes
d'évadés. J'étais donc susceptible d'avoir été parachuté ou droppé par avion
dans ce camp de résistance. La Gestapo était donc bien renseignée. Et la
"mise au vert" continue pour moi. Nouvelle preuve, après deux jours
de cellule provisoire, je suis transféré dans l'aile A, cellule 82. C'est à
l'étage où l'on place les "dangereux", voire les chefs de secteur, ce
que je saurai aussi plus tard. Dans cette nouvelle "cale", se
trouvent trois messieurs d'un certain âge, plutôt sympas, bien que méfiants.
Mes frères scouts sont donc restés incarcérés au rez-de-chaussée
et cela pendant tout leur séjour à St-Gilles et moi je suis le seul qu'on a
transféré. Autre preuve de mise au secret, l'envoi de vêtements ! Les mamans de
scouts arrêtés avec moi qui se voient et se consolent disent à ma mère de faire
un colis de vêtements pour moi et de le déposer à la prison. Tous mes amis
auront reçu leurs lainages, manteaux et autres et moi je restai "inconnu
au bataillon". Je suis donc bien au secret. De fait, ma mère se rend à la
prison de St.Gilles avec un colis. On lui referme la porte au nez. Pour finir
Maman rentre bredouille, en larmes, et… avec le colis que je ne verrai jamais !
Quatrième preuve: l'agent SAS Jean Leurquin a été
parachuté au début 1944 avec son émetteur radio et il est pris en flagrant
délit d'émission par les Allemands. Incarcéré et torturé, entre autres par le
supplice du bain, on lui demande parmi les renseignements à fournir l'adresse
de l'évadé Weber (mon frère Guy) parti avec lui en Grande-Bretagne. La Gestapo
fait donc le rapprochement avec ce Weber arrêté à Dworp et qui pourrait aussi
avoir été parachuté dans ce camp de Résistants.
Revenons maintenant à mon arrivée dans la cellule 82
où je resterai jusqu'à l'évacuation de la prison suite à l'arrivée des Alliés.
Je me trouve donc, dès que la lourde porte se referme, devant trois gentlemen
et non pas devant des bandits à la mine patibulaire. Trois gars cependant
considérés comme dangereux par l'Allemand puisqu'ils se trouvent à l'étage.
Sitôt mon maigre bagage déposé (couverture, bol, couverts reçus à l'entrée), je
suis interrogé et "retourné" comme une crêpe par le comité d'accueil
qui tient à découvrir qui je suis. Ne serais-je pas un "mouton" placé
par l'ennemi pour tirer les vers du nez des locataires et, ensuite, faire rapport
sur ce qu'il a appris ?
Dès lors, les trois occupants, le vieux Docteur
d'expression néerlandaise beaucoup moins car fraîchement arrivé et sérieusement
torturé malgré son âge, me questionnent, me regardent et semblent évaluer la
véracité de mes réponses. "Moi je n'ai rien fait, dis-je. Je suis innocent
et j'ai été pris dans une rafle dans le camp scout où j'étais descendu avec ma
section et voilà pourquoi je suis dans cette tenue de boy-scout. Je suis
étudiant à l'Institut Saint-Louis, j'ai 18 ans et j'habite Etterbeek à tel
endroit, etc." Ces messieurs me dévisagent et l'adjudant de carrière me
répond "Allez, oui, ça va, toi aussi tu es innocent et tu n'as rien fait
de mal. Installe toi, on verra". Et les choses en restent là après que les
instructions de service intérieur m'eurent été communiquées. "Ta paillasse
se trouve là dessous la table". De fait, les 4 paillasses sont repliées
dans la journée et forment une table avec la planche de format ad hoc prévue
pour, 4 tabourets de type classique complètent l'équipement. "Demain tu
seras de corvée pour nettoyer la cale." C'est donc chacun à son tour sauf
pour le docteur qui a 72 ans et est exempt de corvée. Voilà tout à coup le
British qui m'applaudit car il s'aperçoit que j'ai un crayon dans mon bas trois
quarts (système D scout). Le Fritz hier a oublié de me l'enlever car c'est
interdit. Une aubaine pour la chambrée que le British exploite immédiatement en
le détruisant mais en gardant la mine qu'il glisse dans une fente du plancher
car, paraît-il, les fouilles sont fréquentes par le détachement d'inspection.
La cellule est petite mais très propre. Elle fait 3 x 5 mètres et était prévue
pour un prisonnier (avant guerre). Tous les jours elle doit être brossée et
lavée à l'eau, badigeonnée de créoline une fois par semaine. De ce fait il n'y
a pas de bestioles, ce qui est appréciable.
Après deux jours la glace est brisée, ils savent tout
de moi. L'adjudant chef a fait ses recoupements militaires avec mon père, mon
grand frère, etc. Le British avec lequel
je deviendrai grand ami et qui a le flair de l'Intelligence Service a senti qui
j'étais. Quant au vieux doc il m'a pris en affection comme si j'étais son fils.
Bref une excellente atmosphère de franche camaraderie. Il est temps maintenant
que je vous présente mes trois compagnons de captivité. Je vivrai en continu
avec eux presque un mois et je les revois encore toujours dans mon esprit. Leur
histoire de guerre est brièvement la suivante.
Le British para c'est Goulty, Raul, Wolly, sujet de
Sa Majesté, Agent SAS, Intelligence Service. Parachuté sur notre territoire, il
avait diverses missions à effectuer. Il a environ 23 ans, a été arrêté depuis
près de deux ans et se fait passer pour un travailleur flamand. Les Allemands
n'ont pas percé son secret mais ils gardent de sérieux doutes sur sa
personnalité, ce qui justifie son maintien en tôle.
L'adjudant chef Verbist de notre armée, résistant de
l'Armée Secrète et résidant avenue des Volontaires à Etterbeek, est en tôle
depuis deux ans comme le para Goulty. C'est un homme d'environ 48 ans. Le cas
de Goulty et de Verbist est en cours, sans être tout à fait résolu.
Le docteur, c'est Hendrik Goyens, de Meensel-Kiezegem,
âgé de 67 ans. Un pistolet a été trouvé dans le jardin de sa propriété par les
SS Vlaanderen et il est dès lors reconnu comparse dans le terrible drame relaté
ci-après. Depuis 4 jours il est torturé par la Gestapo pour avouer, blême, que
c'est un fuyard qui a jeté cette arme dans le parc de sa propriété. Son compte
est bon semble-t-il.
Il faut rappeler ici qu’en août 1944, cette petite localité
flamande devint un village martyr car un des fils d'une famille pro-nazie y fut
abattu par des inconnus. Le 1 août, de grand matin, le village fut encerclé par
des militaires allemands accompagnés de la Gestapo et de "Noirs du VNV. Trois villageois sont abattus sur
place. Arrestations et tortures se
succèdent. Vers midi, 10 hommes, 4 femmes et une fillette sont embarqués pour être incarcérés ensuite à la prison de Louvain. Le
11 août le village est une nouvelle fois encerclé et tous les hommes de 16 à 60
ans sont rassemblés dans la cour de l'école des Sœurs, y compris un pilote
canadien qui se cachait dans le village. Une maison est incendiée et un
habitant brûlé vif. Le bilan provisoire des deux rafles fut de 4 tués sur place
et de 91 habitants faits prisonniers. Après un bref séjour à la prison de
Louvain la plupart des victimes furent transférées à St. Gilles et, début
septembre, les prisonniers furent embarqués dans des wagons à bestiaux à
destination du camp d'extermination de Neuengamme. Quelques heureux eurent la
chance de se trouver dans le train Fantôme, dont le docteur Goyens, mon
compagnon de cellule. Au total, sur 71 prisonniers arrivés à Neuengamme, huit
seulement survécurent au régime inhumain du camp. ("Journal des
Combattants", octobre 1997)
Le docteur est appelé régulièrement à
l'interrogatoire et après deux bonnes heures il rentre tuméfié par les coups de
la Geheim Feld Polizei ou de la Gestapo, malgré son âge avancé. Moi, par
contre, je suis dans l'attente d'être appelé par un ordre guttural qui résonne
dans le couloir "zwei und achtzig,
Weber". J'aurai cependant
l'immense bonheur de ne pas être appelé, ces tortionnaires étant sans doute
trop occupés à faire d'abord leurs valises devant l'avance des Alliés.
Ce qui vaut aussi la peine d'être conté, ce sont les
alertes Avions. Les sirènes hurlent pour la descente aux abris, pas pour nous
bien sûr mais pour les Boches qui galopent dans les couloirs pour rejoindre au
plus tôt les abris. Seule une équipe de trois hommes va s'installer dans la
tour de la prison avec une mitrailleuse. Les prisonniers par contre sont au
comble de la joie et le manifestent par un vacarme monstre en faisant cliqueter
les couverts entre les maigres tuyaux de chauffage.
Autre scène,
combien prenante, celle du condamné à mort. Tous les trois jours, un
d'entre eux arpente le couloir pour la dernière fois. Peu avant 19 heures, le
"téléphone bantou" fonctionne de cellule à cellule pour informer
chacun de la sortie du condamné dont le nom est communiqué. Tout doucement
alors retentit l’hymne national, pour devenir éclatant une fois que tous s'y
sont mis. Une Brabançonne tonitruante résonne dans tout le bâtiment alors que
le gardien de faction conduit la victime vers la cellule, inoubliable moment,
où il verra l'aumônier pour une éventuelle et dernière confession. C'est là
qu'il passera son ultime nuit tout seul avant d'être fusillé à l'aube. Au sujet
du "téléphone bantou", ce dernier nous appelle par 3 coups frappés
sur le tuyau. On se saisit alors de la boîte à conserve vide qui sert
d'écouteur et qui posée sur le tuyau transmet l'information donnée par la
cellule voisine. On répète alors la même opération de l'autre côté, en
retournant la boîte miraculeuse qui devient parlophone.
Et c'est donc ainsi que je passe vingt-deux jours en
tôle, vivant la morne vie du PP (prisonnier politique). Toujours aucune nouvelle de mes compagnons
d'arrestation ni de ma famille. Vie de prisonniers entrecoupée de péripéties
diverses dont la promenade dans les jardins tous les trois jours. Heureusement
quand même ! La promenade est amusante à observer tant les accoutrements sont
éloquents: le prisonnier courant est en habit bourgeois mais il y a le
gendarme, le curé, le policier, voire le boy-scout en courtes culottes, ce qui
est mon cas ! Il y a aussi la prière avec le chapelet commun (oui, oui), la
cigarette roulée avec le tabac communautaire
et allumée par un frottis sur une mèche d'amadou. Les repas, toujours
attendus avec anxiété et désirés ! Je n'ai jamais mon compte… à mon âge. A
7H30, le quignon de pain noir et un jus de chaussettes, à midi le bol de
patates avec parfois quelques légumes, surtout le rutabaga bien connu en ces
temps de disette. A 17 heures nouvelle ratatouille en plus petite quantité cependant.
A 20H00 mise au lit… fatigués de ne rien faire.
Le train "Fantôme"
Et c'est alors qu'arrive le 1 septembre 1944, journée
différente des autres de par le va-et-vient qui règne dans la prison. Il y a
des camions qui rentrent et qui sortent, des feux de documents à droite et à
gauche et un certain relâchement de surveillance. Le judas, habituellement relevé
fréquemment sur la journée, reste immobile. Ce soir là, alors qu'on venait de
s'allonger, le gardien vient faire l'appel des noms dans chaque piaule et nous
annonce qu'on va bientôt être libéré et qu'il faut se tenir prêt à partir dans
les 24 heures. On ne se sent plus de joie…mais quand même avec un certain
scepticisme. Ce qui nous inquiète, c'est ce grand chambardement. Toutes ces
visions de déménagement et de liquidation nous intriguent. Inutile de vous dire
que nous ne fermons pas l'œil de la nuit. Les conversations et supputations
vont bon train. On fait aussi son bagage, lequel se limite à ma couverture
contenant un colis de la Croix-Rouge fraîchement reçu et mon couvert. Voyant ma
pauvreté d'équipement (un singlet, une chemise d'été et un court pantalon), le
brave para Goulty me fait cadeau pour le voyage de son deuxième manteau, en
véritable tweed svp !
A 3H du matin, on reçoit son jus noir et son quart de
pain. A peine est-il avalé que suit en vitesse l'évacuation de la cellule pour
nous retrouver alignés dans la cour entre des Fridolins l'arme au poing, échelonnés
tous les 2 mètres à gauche et à droite jusqu'à la sortie.
A ce moment, nous comprîmes que nous étions refaits.
Il n'était guère question de libération mais bien d'évacuation. Une tapissière
accolée à la sortie, sans la moindre ouverture latérale, engloutissait les
prisonniers à la volée. Certains se trouvaient mal devant l'herméticité de ces
véhicules de déménagement. D'autres par contre en profitaient pour jeter un
message fraîchement griffonné par la petite ouverture trouvée le long de la
porte à rabat. La direction du convoi est celle de la gare, à entendre les
hululements des locomotives. Schaerbeek - Petite Ile, le long de la chaussée de
Vilvorde, où un très long convoi de wagons attend de faire son œuvre. C'est
pour nous sans nul doute que ces wagons à bestiaux attendent, complètement
fermés à l'exception d'une ouverture de 0,50 x 0,50 munie de fil de fer
barbelé. Attendent quoi, si ce n'est cette troupe de martyrs que nous sommes.
Pour les transférer où, si ce n'est en Allemagne ? Les gardes armés du corridor
sont là pour nous pousser à coup de crosses dans ces niches à cochon. On nous
fait d'abord ranger par deux sur le quai. Me voilà au premier rang d'un groupe
avec un SS de chaque côté. On remonte alors le long du train pour arriver à un
wagon où des martyrs se tiennent déjà debout. Encore place pour une trentaine,
et nous grimpons ainsi rejoindre nos futurs compagnons de voyage qui nous
accueillent avec le sourire malgré les circonstances.
Ce long train se compose de deux wagons voyageurs et
d'une vingtaine de wagons à bestiaux. Les fameux trains de la mort comme on les
appelait ! On ne sait où se mettre ni de quelle façon tant l'espace est exigu
pour 72 individus. Heureusement la fraternité et la solidarité règnent en
maître. Un gars d'autorité, un commissaire de police, prend énergiquement la
parole afin de s'organiser pour le voyage. Du coup on le nomme chef de wagon.
Une première décision tombe: pendant que la moitié des occupants voyagera
debout, l'autre pourra s'asseoir. Changement de position toutes les deux
heures.
Vers 17h00 le train s'ébranle aux accents de la
Brabançonne hurlée par tout le wagon si pas par tout le train ! Les Boches qui
occupent tout un wagon voyageur ne doivent pas être fiers d'emmener 1500
patriotes belges vers les camps de la honte ! Assez rapidement cependant, nous
trouvons que ce fameux train roule bizarrement, comme un cheval déjà essoufflé.
En effet, il roule 10 km et puis s'arrête, puis repart après 15 minutes
d'arrêt. Il prend tout à coup de la vitesse, puis il ralentit. Il stoppe, il
repart.
On arrive quand même à Mechelen vers 21 heures.
N'est-ce pas magnifique que de parcourir 25 km en 4 heures ! Là, le train
semble s'arrêter définitivement. On passe d'ailleurs toute la nuit sur place,
en somnolant comme on peut si on a obtenu une place assise. Tout le monde resta
plus ou moins digne malgré quelques maigres incidents caractériels dus au
manque de confort et tant l'habitacle devient déjà irrespirable !
Puis voilà tout à coup qu'à 7H du matin le train
démarre, mais…dans l'autre sens soit vers Bruxelles ! On n'en croit pas ses yeux.
La voie vers les camps nazis doit être coupée vers l'Allemagne suite aux
bombardements Alliés. Ce ne peut-être que la seule cause de ce revirement.
Rvenus à notre point de départ, nous voilà à nouveau
en stand by. On attend… et voilà que des bruits courent disant qu'on pourrait
être libérés ? Cela paraît incroyable à moins que les Alliés soient aux portes
de Bruxelles ? Le rêve s'envole avec l'arrivée d'un train militaire allemand
fortement armé, qui vient se placer parallèlement au nôtre. Il file probablement
vers le front de Normandie. Un wagon plat est arrêté juste à côté du nôtre.
Dessus se trouve un canon léger anti-avion, sur sa plate-forme tournante. Un
soldat en tenue camouflée est assis en position de tir, prêt à toute
éventualité. D'autres sont là aussi en tenue de combat, se détendant avant le
grand départ. Le canonnier, qui scrute notre convoi, interpelle alors un de nos
gardiens et crie "Was ist das" ? La réponse ne tarde pas :
"Allen Terroristen". Et l'autre alors fait pivoter son arme, mimant
de nous descendre !
C'est dire si nous sommes loin d'être à l'aise durant
cette attente infernale. Puis un feldwebel nous confirme que notre libération
serait proche suite à des pourparlers avec la Croix-Rouge. Nous devenons
nerveux et anxieux. Le calme ambiant, avec cependant des allées et venues, nous
invite à penser que quelque chose d'imprévu se trame.
Libération
Tout à coup, dans les environs de 15 heures, le
sous-officier de faction ouvre la lourde porte coulissante en criant "Alle frei". Personne cependant
n'ose sortir tant la nouvelle est invraisemblable ! De plus, on sait à quoi
ressemble une parole de nazi. Et puis, le train voisin, l'Allemand posté
derrière sa mitrailleuse, est-il parti ? Ouf, celui-là s'en est allé. Personne cependant n'ose mettre un pied
dehors. Un prisonnier passe alors la tête au dehors, puis il sort et rentre à
nouveau pour nous dire qu'on peut y aller ! D'autres, des wagons voisins, ont
déjà parcouru quelques mètres. Alors, rapidement, notre wagon se vide, sauf un gars
qui reste accroupi dans le fond ! C'est Emile, le gendarme, un des plus anciens
prisonniers qui se morfondait bientôt depuis 3 ans en prison et qui n'imaginait
plus la liberté. Faut qu'un copain le tire dehors et l'invite à le suivre ! La
scène au dehors est féerique, un véritable marché tant il y a du monde ! Pensez
donc, 1500 types libérés d'un seul coup ! Ce sont alors des grappes humaines
qui pressent le pas sur le quai. Braves patriotes de toutes sortes, destinés en
principe aux camps de concentration et que voilà tout à coup LIBRES ! Echappant
à un terrible destin, celui que connaîtront durant une dizaine de mois ceux
partis par le convoi précédent, soit 1500 prisonniers… dont beaucoup ne
reviendront plus !
Tel sera le sort réservé à mes cinq frères scouts !
Ils iront dans les camps de Ludwiglust, de Mauthausen et de Sandbostel. Notre
chef, Amand Godfrin, ce meneur d'homme d'une autorité calme et sûre, grand fort
type sportif, ne reviendra pas. Il perdit la vie au camp de Wubbelin en
chrétien converti depuis peu de temps et venu tard au scoutisme je crois. Celui
qui fut à ses côtés jusque dans la mort, Malbecq, m'a dit qu'il avait offert sa
vie pour ses cinq compagnons d'arrestation. André Vannuys, ne survivra pas non
plus, abattu dans une marche de transfert vers un autre camp. Quant à Jacques
Cornelis, il m'a dit qu'il y serait resté aussi, s'il n'avait eu un vieux
gardien Volksturm pour le soutenir dans sa dernière marche de transfert !
Le 3 septembre 1944 à 15h00, notre convoi fut libéré
et il emportera pour la postérité le nom glorieux de 'Train Fantôme', car il
allait et venait, s'arrêtait et repartait, pour en arriver à son heureux
dénouement.
Mais grâce à qui ce sauvetage inespéré ? Tout d'abord
aux Cheminots-Résistants, Louis Verheggen et Léon Pochet. Le sous-chef de gare,
Michel Petit, membre du Mouvement de Résistance National Belge. Ensuite à la
Diplomatie, l'Avocat Frédéric Eickhoff
et le Vicomte Berryer, conseiller à l'Ambassade Belge de Berlin. Les
Consuls d'Espagne, Suisse, Suède et Finlande, sans oublier la Croix-Rouge de
Belgique.
Je fais mes adieux à Goulty, le seul compagnon de
captivité que j'aperçois encore et qui me fait définitivement cadeau de son
manteau ! Je rentre évidemment à pieds car il n'y ni comité d'accueil ni transports
publics. Tout est mort dans l'attente des troupes libératrices. Mieux vaut se
méfier des SS fuyards, tant les planqués à Bruxelles que ceux qui refluent de
province ou d'ailleurs. Plusieurs voitures volées ou réquisitionnées circulent
en trombe avec deux hommes en tenue de combat à l'avant du véhicule, le doigt
sur la gâchette.
Gare à celui qui a des airs suspects…nous les
loqueteux, sales et dépenaillés, avec comme seule pièce d'identité une carte
d'Interné civil reçue de la Croix-Rouge à la sortie de la gare.
Sur le boulevard du Midi, un char léger achève de se
consumer et plus loin nous remarquons un véhicule de combat carbonisé, et aussi
le Palais de Justice qui brûle avec des volutes de fumée qui emplissent le
ciel. Nous apprendrons plus tard qu'il s'agit d'un acte de vengeance des
'Frisés', qui ont miné la coupole avant le départ tout en détruisant des
archives compromettantes certainement. Des tirs sporadiques résonnent dans le
lointain et mon compagnon et moi pressons le pas dans l'inquiétude de tomber
sur des fuyards armés. Le compagnon dont il est question est un prisonnier du
train rencontré à l'inscription Croix-Rouge, qui habite à deux pas de l’avenue
d'Auderghem où crèche ma famille. Je porte mon baluchon sur l'épaule (ma
couverture, mon bol et mes couverts). J'ai les cheveux hirsutes et trop longs,
pas peignés non plus, je suis fatigué par manque de sommeil et…j'ai maigri de 8
kg ! Je dois avoir une "sale gueule", car Maman qui est sur le pas de
la porte avec des voisins, dans l'attente des Alliés, me voit arriver de loin
et elle pense "Quel peut-être ce voyou » qui arrive. Et, tout à coup,
elle réalise que c’est… son fils Roger, dont on était sans nouvelles ! Elle
fond en larmes et m'étreint longuement. Mes deux petits frères de 4 et 6 ans
sont tout ahuris de me retrouver et marquent leur contentement !
Les gens s'amènent pour me féliciter, les voisins
proches et d'autres; et aussi l'Aumônier
de notre Unité scout et son chef de troupe. Ils sont fous de joie et me
disent "les autres vont suivre, puisque tu es là"? Sans rien savoir
sur eux, je leur réponds : "sans doute, peut-être" ? Car comment
voulez-vous savoir sur 1500 prisonniers ? Mais, malheureusement…il faudra
déchanter, car après deux jours et une demande à la Croix-Rouge tout espoir
sera perdu. En réalité, les copains sont déjà dans les maudits camps de la mort
!
Et puis, c'est Papa qui s'amène avec mon frère
Jacques. Il n'en revient pas de me revoir et ce sont des embrassades continues
et des larmes de bonheur.
Je prends alors et avant tout un bon bain chaud avec
délectation ! Me voilà maintenant un peu plus présentable. Et c'est alors avec
jouissance que je glisse mon grand corps fatigué dans un beau lit, propre et
moelleux, de quoi retrouver quelque énergie. Doucement les mauvais moments
s'envolent et je reprends du poil de la bête. Toutes mes pensées vont toujours
vers mes frères Routiers, dont on est toujours sans nouvelles mais dont on pressent
le malheureux sort.
Extrait de : "Ma guerre d'adolescent, j'avais 14
ans en 1940", Roger Weber, Bruxelles 2004 (édition privée)
Oui,oui, Roger Weber vit encore (92 ans). Il a malheureusement perdu la mémoire mais serait heureux de savoir que son texte est sur ce blog. (s) Michel Weber, un de ses "petits frères".
RépondreSupprimerBonjour mon grand-pere a aussi ete arrete ce jour-la, et il est mort en deportation 6 semaines plus tard. Si Roger vit toujours, il est probablement la derniere personne vivante a l'avoir rencontre...
SupprimerHello Louvances, je ne parviens pas a trouver le livre de Roger Weber. Un indice SVP?
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