Libération d’Etterbeek et d'Auderghem 1944.
Souvenirs d’un enfant de 5 ans
Souvenirs d’un enfant de 5 ans
J’ai 5 ½ ans en septembre 1944
et c’est « La Libération de Bruxelles »
et c’est « La Libération de Bruxelles »
Le Carrefour de la Chasse. 4
septembre 1944
Depuis le débarquement du 6 juin 1944, nous attendons les Alliés à Bruxelles. Avec l’annonce de la Libération de Paris, le 25 et le 26 aout (« Paris libéré » illustré par le film "Paris Brûle-t-il?"), les Allemands savent que leurs jours dans les pays occupés sont comptés. Dès la fin du mois d’aout, les « souris grises » fuient. Ces auxiliaires féminines de l’armée d’occupation se mettent en sécurité. Maman (Denise Reuliaux) les déteste. Elle s’en écarte quand nous en rencontrons en ville. Comme les rats quittent des navires, les souris sont la première espèce à quitter Bruxelles. Mais dès le début septembre, c’est la débandade pour tous les autres militaires, et des milliers de collabos.
Le 3 septembre, c’est un dimanche, la rumeur annonce des chars alliés
aux portes de Bruxelles. Les cloches carillonnent de proche en proche. Le
Palais de Justice brûle. L’ennemi efface-t-il des preuves ou doit-on craindre
un nouveau Varsovie ? « Bruxelles brûle-t-il ? »
Heureusement pendant aucune de nos deux guerres du XXe siècle la ville ne fut militairement
défendue. Un peu une « ville ouverte ».
Le soir du 3 septembre on raconte qu’un petit véhicule de reconnaissance
(quoi ? je ne m’en souviens pas) est arrivé à hauteur de la maison
communale mais qu’il a rebroussé chemin vers le rond-point de la rue de la Loi
(actuellement Schuman) sachant que plein d’Allemands traînent encore un peu
partout dans les quartiers. Les Anglais occupent le Parc du Cinquantenaire.
Dans le quartier de la Chasse toute la nuit se passe à préparer
l’accueil des Alliés. Confection de drapeaux, répétition de chants, révision
des quelques mots anglais indispensables… La nuit la plus magiquement éveillée
depuis longtemps.
Nous habitions au 65 rue des Moissonneurs, à quelques pas du Carrefour de la Chasse. Avant notre Libération, papa prépare des
petites lanternes cylindriques en accordéon. Sur le rond de carton du dessous,
on peut piquer ou coller une petite bougie. Il va sonner chez les voisins d’en
face. À partir de deux fenêtres opposées on lance des ficelles. On a attaché
les objets, noué les deux ficelles et tout suspendu au dessus de la rue. La rue
où il y a quelques jours encore résonnaient les bruits de bottes des
patrouilles allemandes. Les Belges reprennent possession de leurs rues.
Dès le lendemain, lundi 4 septembre) nous allons régulièrement aux
nouvelles à la Chasse. Les Alliés se mettent-ils sur leur 31 pour se faire accueillir
triomphalement sur l’axe de la chaussée de Wavre ?
À la Chasse, on s’impatiente. Les enfants
répètent quelques mots anglais. « Good morning, sir ». « Good evening ». « Good
bye ». « Please ». « Thank you ». Certains tirés des phylactères de bandes
dessinées d’avant-guerre : « Hands up », « Shut up ».
Ils devraient remplacer les mots violents de l’occupation allemande :
« Raus » (dehors), « Papiere » (les papiers),
« Schnell » (vite)…
Les enfants courageux ont appris à compter de 1 à 10.
« One, two, three, four… » Et on reprend les chants de la guerre
précédente
It's a long way to Tipperary,
It's a long way to go.
It's a long way to Tipperary
To the sweetest girl I know!
Goodbye, Piccadilly,
Farewell, Leicester Square!
It's a long long way to Tipperary,
But my heart's right there.
https://www.youtube.com/watch?v=cPk21C0Wpkg
It's a long way to go.
It's a long way to Tipperary
To the sweetest girl I know!
Goodbye, Piccadilly,
Farewell, Leicester Square!
It's a long long way to Tipperary,
But my heart's right there.
https://www.youtube.com/watch?v=cPk21C0Wpkg
Personne bien sûr ne sait où se trouve
Tipperary.
On chante aussi une chanson davantage de
circonstance. Je me souviens l’avoir chantée devant la Plume d’Or, au coin du carrefour de la Chasse et de la rue des Champs, côté nord.
On ira pendre notre linge sur la ligne
Siegfried,
On ira pendr' notre linge sur la ligne Siegfried
Pour laver le linge, voici le moment
On ira pendr' notre linge sur la ligne Siegfried
A nous le beau linge blanc.
Les vieux mouchoirs et les ch'mis's à Papa
En famille on lavera tout ça
On ira pendr' notre linge sur la ligne Siegfried
Si on la trouve encore là.
On ira là.
https://www.youtube.com/watch?v=PjwYCyaM01E
On ira pendr' notre linge sur la ligne Siegfried
Pour laver le linge, voici le moment
On ira pendr' notre linge sur la ligne Siegfried
A nous le beau linge blanc.
Les vieux mouchoirs et les ch'mis's à Papa
En famille on lavera tout ça
On ira pendr' notre linge sur la ligne Siegfried
Si on la trouve encore là.
On ira là.
https://www.youtube.com/watch?v=PjwYCyaM01E
Une chanson de 1939 qu’on espère bien voir
réalisée dès 1944 « We're going to hang out the washing on the Siegfried
Line.
Have you any dirty washing, mother dear?” Les Alliés ne font que passer, ils veulent franchir la ligne Siegfried, l’énorme ligne de défense de l’Allemagne, et finir à Berlin. Hélas ! Montgomery choisira « Un pont trop loin ».
Have you any dirty washing, mother dear?” Les Alliés ne font que passer, ils veulent franchir la ligne Siegfried, l’énorme ligne de défense de l’Allemagne, et finir à Berlin. Hélas ! Montgomery choisira « Un pont trop loin ».
Je pense que certains chantent
« nous » irons pendre. Ils comptent peut-être s’engager quand la
Brigade Piron passera.
Les drapeaux
C’est le moment de sortir ses drapeaux
Dès que les Anglais se sont annoncés, mon oncle
Ernest Bosson, coiffeur pour dames, et ma tante Louise, née Rits, ont arboré
leur grand drapeau belge à la fenêtre du premier étage et se sont mis à la
porte de leur maison. Ils arboraient aussi les couleurs du Congo Belge, leur fils Robert avait passé la guerre à Uvira, face à Usumbura, ancienne colonie allemande. Ils habitaient rue Général Leman, côté église
Sainte-Gertrude à quelques mètres de la maison communale. Leur photo est passée
dans des livres d’histoire.
Les marchands officiels de drapeaux ont été
dévalisés. Bien peu sans doute avaient eu la témérité et la patience de garder des
drapeaux « alliés » pendant l’occupation.
Alors on fabrique en hâte. Les draps de lit et
les nappes sont sacrifiés, découpés en larges bandes. Pour le noir il y a les
pompes funèbres « deuil en 24 heures »), habituées à teindre tous les
textiles d’une maison mortuaire. Pour le rouge, le bleu, le jaune, … il y a la
droguerie. Je me souviens bien avoir fait des achats en prévision à la
droguerie de la Chasse entre la rue des Champs et l’avenue de la Chasse.
D’habitude j’y étais envoyé surtout pour chercher de la présure pour faire du
fromage blanc avec le lait tourné.
Pour le dessin des pavillons, tout le monde a
plongé sur les 2 pages collées au dos des couvertures du Petit Larousse
illustré. Depuis 40 ans, les enfants désœuvrés mais doués jouent à reconnaître
les drapeaux des plus petits pays.
Maintenant, il s’agit de reproduire.
Les pays à drapeaux tricolores. Français,
Luxembourgeois (la Grande-Duchesse était une héroïne de guerre), Italiens (mais
de quel camp sont-ils cette année-là ?), … tricolore facile mais il faut
bien observer l’ordre des couleurs et l’orientation.
Pour le drapeau français, on s’exerce à
dessiner à la craie la Croix de Lorraine (tout comme le signe V), et à la
peindre sur des drapeaux français anciens, pour prendre ses distances par
rapport au drapeau de Pétain.
Pour la Russie, on découpe ou on dessine
laborieusement la faucille et le marteau. Les communistes qui sortent de leur
prudence privilégient le drapeau rouge. Dans quelques semaines mon libraire
préféré mettra dans son magasin une grande affiche : « l’armée rouge
sera la première à Berlin ». Je n’ai compris que plus tard pourquoi cette
course de vitesse.
Drapeaux encore. Pour le drapeau américain,
avec une paire de ciseaux, découper soigneusement 48 étoiles. À l’aide d’un
modèle d'étoile en carton. Stars and stripes (étoiles et bandes), pour les bandes c’est plus facile.
Le plus délicat est le drapeau anglais. Des croix qui se croisent. Dans quel ordre les couleurs ? Alors par facilité on se contente de tracer des cocardes au compas et de les colorier, bleu-blanc-rouge. Les cocardes des avions anglais et de notre préféré : le Spitfire. Bien sûr il y avait aussi le Hurricane. Les Américains avaient des forteresses volantes qu’on dessinait sur nos ardoises en mettant les mitrailleuses un peu au hasard de notre imagination. Le Canada, difficile de dessiner une feuille d’érable.
Le plus délicat est le drapeau anglais. Des croix qui se croisent. Dans quel ordre les couleurs ? Alors par facilité on se contente de tracer des cocardes au compas et de les colorier, bleu-blanc-rouge. Les cocardes des avions anglais et de notre préféré : le Spitfire. Bien sûr il y avait aussi le Hurricane. Les Américains avaient des forteresses volantes qu’on dessinait sur nos ardoises en mettant les mitrailleuses un peu au hasard de notre imagination. Le Canada, difficile de dessiner une feuille d’érable.
Il y a des drapeaux de toute matière. Au
pastel, à la peinture à l’eau, au crayon de couleur… ou en drap patiemment
cousu grâce à la machine à coudre Singer.
Drapeaux, vocabulaire, chansons… nous sommes
parés.
Ils arrivent, ils sont là
Et enfin, on voit de l’agitation au bout de l’avenue d’Auderghem, près
de la Maison communale. Quelques Allemands attardés décampent en désordre,
sauve qui peut, par la chaussée de Wavre.
Et on attend. Un peu comme pour un cortège folklorique ou pour le Tour
de France.
A la Chasse, dans leur impatience certains se
plantent au milieu du carrefour, apercevant les véhicules de tête à hauteur de
la Chaussée Saint-Pierre, de la rue Louis Hap, ensuite rue Champ du Roi, puis à
la rue des Platanes. Et les voilà enfin qui débouchent triomphalement sur le
Carrefour de la Chasse, ancienne « barrière » pour les marchandises
venant de la forêt de Soignes.
Courte pause d’orientation. L’avenue des
Casernes ouvre la voie vers de vastes lieux militaires d’hébergement. La
chaussée de Wavre, c’est Louvain via Tervuren, ou Namur, Huy et le sud de la
région liégeoise… Les jeunes filles et les femmes montent à l’assaut des chars
et des jeeps, embrassent à pleines lèvres, se mitonnent une place sur le capot
pour un bout de route, explorent parfois l'intérieur du véhicule. Quelques enfants naitront de ces accueils chaleureux.
Et tout repart sur la chaussée de Wavre. Une
fois les premiers véhicules passés, le moment d’exaltation retombe un peu.
Comme lorsqu’on a vu passer le peloton de tête du Tour de France, très vite, et
que pendant un long moment on ne voit plus qu’un long défilé de coureurs plus
anonymes.
C’est le premier franchissement de ce carrefour
mythique. Accomplissement, accouchement, « délivrance »,
« libération », …
Depuis le 6 juin, quand nous avions reçu la rumeur
« ils ont débarqués », il y a eu près de 3 mois fiévreux avant notre
Libération. Maintenant ils sont passés. Ils poursuivent les
« Boches ».
Je sais encore exactement pourquoi je garde un
aussi intense souvenir du passage des premiers libérateurs à la Chasse à
hauteur de la rue des Champs. Mon souvenir de guerre le plus éprouvant, ce fut
de voir des hommes sortis du tram (« raus », schnell ») à
hauteur de l’arrêt du 35, près du « Coq » le fromager, et alignés
contre le mur de la brasserie du coin, bras en l’air, mis en joue par des
soldats allemands, fouillés, emmenés.
La caravane des Alliés passe aujourd’hui un
frotteur sur ce tableau sombre. Mais pour moi désormais, quand maintenant
encore je passe là, je sens bien que dans ma tête le tableau ne s’effacera
jamais tout à fait.
Maman, ma sœur cadette Annie et moi
accompagnons la colonne jusqu’à la Clé d’Auderghem. On observe déjà une
circulation militaire importante sur les Boulevards. Je suppose que prendre
possession des Casernes a été une priorité pour l’hébergement des conquérants
et la mise à l’ombre des prisonniers. Ceux qui ont fui à pied ou vélo se sont
fait rattraper.
En l'année 2014, un groupe Facebook dédié à
AUDERGHEM d’AUTREFOIS, publie des photos de la libération d’Auderghem. À
hauteur de Saint-Julien et sur le boulevard du Souverain. Sur le boulevard du
Souverain on voit des prisonniers allemands remonter en groupe vers les
Casernes pour y être incarcérés. D’après l’orientation des ombres ce pourrait
être au début de l’après-midi. Ils ne semblent pas avoir combattu. Mon
hypothèse est qu’ils ont été cueillis du côté d’Auderghem-Forêt. S’ils ont
voulu fuir vers Louvain via la Chaussée de Wavre puis en oblique à gauche par
la chaussée de Tervuren, ils pourraient avoir été devancés par des Alliés arrivés
du Parc du Cinquantenaire par la large avenue de Tervuren, très arborée à
l’époque. Une photo récemment parue sur Facebook montre un gros char anglais descendant l'avenue de Tervuren devant le Palais Stoclet.
Je viens de le vérifier ce 17 aout 2019, les éclaireurs anglais ont atteint Louvain-Leuven à 15 heures le 4 septembre 1944. À minuit la ville était prise. Les Allemands fuyaient vers Liège.
Les Anglais qui ont pris Leuven sont passés par Etterbeek et Auderghem. Les Allemands pensaient qu'ils arriveraient par la Chaussée de Louvain (Place Meiser, Kortenberg.
Je viens de le vérifier ce 17 aout 2019, les éclaireurs anglais ont atteint Louvain-Leuven à 15 heures le 4 septembre 1944. À minuit la ville était prise. Les Allemands fuyaient vers Liège.
Les Anglais qui ont pris Leuven sont passés par Etterbeek et Auderghem. Les Allemands pensaient qu'ils arriveraient par la Chaussée de Louvain (Place Meiser, Kortenberg.
Le
pillage et la vengeance
Retournés vers le carrefour de la Chasse, nous
découvrons le spectacle du pillage et de la vengeance. Le pillage a commencé
alors que les Allemands fuient encore. Les Belges volent (en prétendant qu’ils
se remboursent) les biens des immeubles que les Allemands ont utilisés. Tout
près de nous l’école de la rue Joseph Buedts où l’on s’approvisionnait, pendant
l’occupation, en timbres et cartes de ravitaillement. On pique en réalité le
matériel qui appartient à l’État belge. Dans la gare d’Etterbeek, il y a un
train hôpital. Nous voyons des chapardeurs se promener avec des scialytiques,
des lits d’opération, …
Avec maman nous nous sommes rappelé bien plus tard une scène extraordinaire juste devant le coin aigu de l’Avenue des Casernes et de la Chaussée de Wavre. Au tout dernier moment un officier allemand fuit en voiture décapotable. Monocle, oui monocle, le parfait officier prussien, ordonne au chauffeur d’arrêter la longue voiture et commence à engueuler un type qui emporte une armoire sur son dos, tenant deux des pieds dans ses mains. Le type se laisse insulter sans broncher. Pendant ce temps le chauffeur supplie son officier de repartir au plus vite car les Alliés arrivent. L’officier remonte, la voiture repart à toute vitesse vers Auderghem. Et le type reprend sa route avec l’armoire.
Avec maman nous nous sommes rappelé bien plus tard une scène extraordinaire juste devant le coin aigu de l’Avenue des Casernes et de la Chaussée de Wavre. Au tout dernier moment un officier allemand fuit en voiture décapotable. Monocle, oui monocle, le parfait officier prussien, ordonne au chauffeur d’arrêter la longue voiture et commence à engueuler un type qui emporte une armoire sur son dos, tenant deux des pieds dans ses mains. Le type se laisse insulter sans broncher. Pendant ce temps le chauffeur supplie son officier de repartir au plus vite car les Alliés arrivent. L’officier remonte, la voiture repart à toute vitesse vers Auderghem. Et le type reprend sa route avec l’armoire.
Plus tard, sans doute le lendemain, nous allons
avec maman et ma sœur Annie au Parc du Cinquantenaire. Des Anglais y campent
(Philippe Moureaux, dit plus tard Flupke moustache, né aussi en 1939, deux mois après moi,
mais fils de notable libéral et moi d’ouvrier électricien m’a raconté qu’il a
visité le même camp en septembre 1944). Nous passons avenue de la Joyeuse
Entrée. Près du coin de la rue de la Loi, face au parc, il y a un bâtiment des
Affaires économiques. Des nouveaux patriotes se ruent à l’assaut des bureaux
aux étages et dans leur rage jettent tout par la fenêtre, y compris les photos
richement encadrées, les drapeaux… Et à côté de nous sur la rue, il y a un
bonhomme avec une boule de ficelles qui emballe paisiblement les beaux cadres,
plie les drapeaux, … Futur brocanteur sans doute. Malgré notre haine de la
croix gammée, je trouvais le drapeau hitlérien superbe. Des années plus tard à
la sortie du « Dictateur » de Charlie Chaplin, le cinéma Le Roy près
de la Porte de Namur sera orné de grands drapeaux nazis, noirs, blancs, rouges.
L’esthétique masque un peu l’horreur qu’a couverte le drapeau.La beauté du diable.
Il y eut le pillage. Il y eut aussi la
vengeance. C’était la chasse aux « inciviques », particulièrement aux
délateurs, aux collabos, aux « traîtres ». Je me souviens d’un fait.
Une horde de libérés s’est lancée rue Nothomb, au premier étage d’un magasin,
une épicerie, si je me souviens bien, en face de chez Delsaut. On a sorti la
femme. Détruit son appartement. Je ne me souviens pas de femmes tondues ni de
résistants en armes comme je l’ai vu dans des documentaires mais tous ces gens
partant en criant vers l’habitation que la vindicte populaire leur désignait me
font toujours peur. Que de dénonciations cachent des règlements de comptes
personnels ! Je ne sais pas si cette dame avait fauté, mais je n’aime
toujours pas les foules vengeresses.
On ramasse des inciviques, repérés depuis
longtemps par la rumeur du quartier. Pendant les années de guerre on a appris à
se taire devant des oreilles promptes à la dénonciation. Il traîne encore des
affiches de l’immédiate avant-guerre. « Attention les murs ont des
oreilles ». « Méfiez-vous de la 5e colonne ».
On parle d’un neveu « réfractaire »
sorti de sa cache dans une cave depuis 4 ans pour échapper au Travail
obligatoire en Allemagne. Avec la Libération tout un monde de la nuit retrouve
la lumière. Un militaire polonais (ou de ce coin-là), caché longuement rue de
la Grande Haie chez les Frères des Écoles Chrétiennes et les vicaires, peut
enfin revoir le soleil. On a montré sa moto à une petite expo peu après
guerre avec la tenue de prisonnier de Monsieur Electeur, prof au Collège Saint-Michel et déporté à Buchenwald (il en était revenu rue des Moissonneurs).
En septembre 1944 d’autres citoyens sont mis à l’ombre, enfermés aux Casernes. Les journaux montrent des photos d’« inciviques » dans les caves des fauves du zoo d’Anvers. Les pensionnaires habituels n’ont pas survécu aux restrictions de l’occupation.
En septembre 1944 d’autres citoyens sont mis à l’ombre, enfermés aux Casernes. Les journaux montrent des photos d’« inciviques » dans les caves des fauves du zoo d’Anvers. Les pensionnaires habituels n’ont pas survécu aux restrictions de l’occupation.
La
résistance
Quelle image un enfant de 5 ans avait-il de la
résistance ? Autant d’admiration que de crainte. Dans le tram, lorsqu’on
se faisait arrêter par les Allemands pour un contrôle d’identité et parfois une
fouille, maman disait à ma sœur Annie et à moi : « mettez les mains
dans les poches pour qu’un résistant n’y cache pas son revolver». Et certains
amis recommandaient de ne pas laisser les fenêtres ouvertes car un
« réfractaire » pouvait s’introduire dans la maison pour s’y cacher.
On entendait parler de résistants dénoncés, faits prisonniers, torturés par la
Gestapo, déportés, fusillés, pendus… Il y avait beaucoup de résistants parmi
les amis de papa et dans le scoutisme en général. Un ami chausseur (Albert Van
Peteghem) au Boulevard du Midi, qui ne s’appelait pas encore « de
Stalingrad » cachait des messages dans des boites de cirage. Plusieurs
amis ont été pris. Certains ne sont revenus qu’après des mois, ou des années,
après avoir été libérés par les Russes et puis emprisonnés dans des camps
soviétiques.
Les occupés, je crois, n’aimait pas les
meurtres en rue des officiers ou soldats allemands. Cela amenait des
représailles, des exécutions d’otages. On préférait les actions
intellectuelles : le Soir volé, les tracts de résistance... Mais là aussi
les Boches punissaient de déportation et même de mort. À la craie sur les murs
on traçait doucement des symboles sur les murs : des V de victoire, des
croix de Lorraine pour évoquer de Gaulle. Des blagues circulaient sur les
réactions des différents peuples. Et sur les dirigeants : von Papen, von
Falkenhausen, Hitler, Mussolini… Churchill, avec son cigare, jouissait de la
plus grande popularité. Roosevelt d’un grand respect. Staline faisait peur avec
sa grosse moustache.
Lors des jours de la Libération on n’a pas
vraiment apprécié les résistants qui faisaient le coup de feu contre des
Allemands en fuite. Les gens disaient : laissez-les partir, qu’ils soient
vite dehors et qu’ils ne tuent pas des Belges en passant. Chaussée de Wavre, le
matin du 4 septembre, un Allemand fuyait sur un vélo au pneu crevé. Un habitant
lui a dit : « Je vais te mettre une rustine comme ça tu seras parti
plus vite ».
Un grand ami de mon papa, Stéphane Wautriche,
est mort du côté de Verviers dans des actes de résistants des derniers jours.
Sa famille a réussi à lui parler une dernière fois par la fenêtre de la cave où
il était emprisonné.
Lorsque je suis entré à la meute Albert Deru (du nom d'un résistant tombé au combat près de Jemelle en couvrant son groupe, j'ai fait la connaissance de son fils lors d'une fête de 93 ans de mon unité scoute la 7e, rue Bruylants en 2019) on vivait encore dans le
culte de chefs et de routiers victimes de la répression. Et un de mes premiers
camps se passa à Baudémont près de Nivelles, dans une propriété sur laquelle
pesait encore le drame de la résistance, et des dénonciations par des proches.
Vivre
libres
Nous entrons dans l’après-guerre. Bien sûr les Allemands ne sont pas
loin. Replis derrière la frontière ils rêvent de reprendre Anvers. En décembre 1944, la
frayeur se répandra « Ils reviennent ». Notre Noël sera gâché par
l’offensive des Ardennes. Il restera la peur des V1 et des V2 qui s’abattent
sans avertir. Je me souviens d’en avoir entendu un tomber près du Rond-Point
Saint-Michel. Avec maman on allait voir des maisons détruites, avec souvent un escalier tenant encore à la maison voisine, ou des éviers ou même des baignoires suspendus par la tuyauterie.
L’après-guerre pour ma classe d’école maternelle, c’est l’entrée à
l’école primaire à la rue Bruylants. Après la première récréation je dis à
maman : « il y avait un garçon avec du pain blanc ». « Ce
doit être un fils de profiteur de guerre », répond maman. Devant l’Athénée
d’Etterbeek, avenue du 11 novembre, il y aura des camions britanniques bâchés. À
l’arrière des soldats font aux enfants des petits cadeaux. Je me souviens du chocolat
« Cadbury ». Des condisciples demandent « Cigarets for papa,
please ». Mais mon papa ne fumait que des cigarillos.
Pendant des mois ce sera encore la pénurie, et le rationnement. Ceux qui
dans l’euphorie de la Libération ont brûlé leur carte et leurs timbres de
ravitaillement sont tributaires du marché noir qui reprend de plus belle avec
le business de certains militaires.
Au Coq, la mythique crèmerie de la Chaussée de Wavre, avec un commerçant au vaste tablier, nous achetons des œufs en poudre et nous essayons le "Butter spread" (de l'air et de l'eau ?) pour couvrir nos tartines de pain de plus en plus blanc.
Au Coq, la mythique crèmerie de la Chaussée de Wavre, avec un commerçant au vaste tablier, nous achetons des œufs en poudre et nous essayons le "Butter spread" (de l'air et de l'eau ?) pour couvrir nos tartines de pain de plus en plus blanc.
Le message de l’abondance promise me parviendra un jour en passant
devant une petite épicerie de l’avenue de la Chasse, près de la Place Saint-Pierre et qui affiche : « Enfin
libre ». C’est une publicité pour la margarine Solo, que l'on peut désormais acquérir sans timbres de ravitaillement !
Voilà! Il y a 75 ans j'avais 5 ans et demi. Je m'en souviens comme si c'était hier. En mai 1940 j'avais 15 mois et mon oncle Roger m'amenait sur le porte-bagage de son vélo pour aller chez mes grands-parents à la gare de Schaerbeek (ma maman allait accoucher de ma sœur Annie). L'oncle Roger (Roro) m'a raconté qu'à la porte de Tervuren nous avions croisé l'armée allemande entrant triomphalement dans Bruxelles.
Quatre ans plus tard à l'autre bout de l'avenue de la Chasse je raccompagnais cette armée en déroute.
Les Allemands ont gâché la Noël 1944. C'était la panique: "ils reviennent". Heureusement il y a eu Bastogne.
Et quand, quelques d'années plus tard, les Allemands sont revenus au Rond-Point Saint-Michel c'était pour construire l'Europe avec nous.
Les enfants dans la guerre
Ces quelques souvenirs pour qu'on se souvienne. La plupart des gens avec lesquels j'ai vécu la Libération sont aujourd'hui décédés. Pour les 75 ans d'un des évènements les plus forts de ma vie, j'ai rafraîchi mes souvenirs. Je voudrais encore rassembler des photos et des textes d'autres enfants et adultes de cette époque. Demandez à vos parents, grands-parents ou arrière-grands-parents. Je ne serai certainement plus là pour les 100 ans.
Le 8 mai on fêtera les 75 ans de la fin de la guerre en Europe. A cette occasion je rassemble ma mémoire sur la période de guerre. Mon plus lointain souvenir daté le 7 septembre 1943, 9h51 heure de Berlin. Le bombardement allié sur Ixelles-Etterbeek. Erreur, ils croyaient bombarder Evere! 343 morts plus les Allemands qui n'ont jamais communiqué leurs pertes. J'ai encore dans les yeux les avions comme des "croix dans le ciel", dans les oreilles le vacarme épouvantables des moteurs, dans les narines la poussière noire comme celle que j'ai vue à la télé pour les Wolrd Trade Center, et dans le cœur l'effroi de ma maman parce que mon papa travaillait tout près du massacre.
Pour la guerre je rappellerai les abris (sous le cinéma Léopold), les files aux magasins, les smokkeleers, l'école Sainte-Geneviève et les repas du secours d'hiver, le tricot pour faire des couvertures en patchwork, la charpie pour mettre sur les blessures, les ardoises en carton, les bombardements et les V1, les topinambours et les rutabagas, les hivers rigoureux, les engelures et les gerçures, des enfants avec pieds et mains en sang, le combat aérien (superbe !) auquel j'ai imprudemment assisté de la fenêtre de ma chambre, l'occultation, la défense passive, l'écoute de Radio-Londres (sur le rythme de la 5e symphonie et de la lettre V en morse), "on les aura les Boches"...
Voilà! Il y a 75 ans j'avais 5 ans et demi. Je m'en souviens comme si c'était hier. En mai 1940 j'avais 15 mois et mon oncle Roger m'amenait sur le porte-bagage de son vélo pour aller chez mes grands-parents à la gare de Schaerbeek (ma maman allait accoucher de ma sœur Annie). L'oncle Roger (Roro) m'a raconté qu'à la porte de Tervuren nous avions croisé l'armée allemande entrant triomphalement dans Bruxelles.
Quatre ans plus tard à l'autre bout de l'avenue de la Chasse je raccompagnais cette armée en déroute.
Les Allemands ont gâché la Noël 1944. C'était la panique: "ils reviennent". Heureusement il y a eu Bastogne.
Et quand, quelques d'années plus tard, les Allemands sont revenus au Rond-Point Saint-Michel c'était pour construire l'Europe avec nous.
Les enfants dans la guerre
Ces quelques souvenirs pour qu'on se souvienne. La plupart des gens avec lesquels j'ai vécu la Libération sont aujourd'hui décédés. Pour les 75 ans d'un des évènements les plus forts de ma vie, j'ai rafraîchi mes souvenirs. Je voudrais encore rassembler des photos et des textes d'autres enfants et adultes de cette époque. Demandez à vos parents, grands-parents ou arrière-grands-parents. Je ne serai certainement plus là pour les 100 ans.
Le 8 mai on fêtera les 75 ans de la fin de la guerre en Europe. A cette occasion je rassemble ma mémoire sur la période de guerre. Mon plus lointain souvenir daté le 7 septembre 1943, 9h51 heure de Berlin. Le bombardement allié sur Ixelles-Etterbeek. Erreur, ils croyaient bombarder Evere! 343 morts plus les Allemands qui n'ont jamais communiqué leurs pertes. J'ai encore dans les yeux les avions comme des "croix dans le ciel", dans les oreilles le vacarme épouvantables des moteurs, dans les narines la poussière noire comme celle que j'ai vue à la télé pour les Wolrd Trade Center, et dans le cœur l'effroi de ma maman parce que mon papa travaillait tout près du massacre.
Pour la guerre je rappellerai les abris (sous le cinéma Léopold), les files aux magasins, les smokkeleers, l'école Sainte-Geneviève et les repas du secours d'hiver, le tricot pour faire des couvertures en patchwork, la charpie pour mettre sur les blessures, les ardoises en carton, les bombardements et les V1, les topinambours et les rutabagas, les hivers rigoureux, les engelures et les gerçures, des enfants avec pieds et mains en sang, le combat aérien (superbe !) auquel j'ai imprudemment assisté de la fenêtre de ma chambre, l'occultation, la défense passive, l'écoute de Radio-Londres (sur le rythme de la 5e symphonie et de la lettre V en morse), "on les aura les Boches"...
Un site de photos de la guerre. https://www.facebook.com/pg/PatrickBrion/photos/?ref=page_internal
RépondreSupprimerSuperbe réçit ,je suis né en 1948 a Etterbeek ,mes parents ayant fuit l'Allemagne a pied , j'entend encore ma mère raconter l'arrivée des alliés ,nous habitions rue de la grande haie et ensuite rue champ du roi
RépondreSupprimerTémoignage très intéressant. Les souvenirs de cet âge sont quasiment photographiques, donc, à prendre absolument en compte.
RépondreSupprimerMERCI Paul pour ce beau témoignageJ'ai vécu la même chose à ceci près que j'avais ans J'ai déjà évoqué précédemment le pillage de la rue Joseph Buedts et la désapprobation de mon père.Aussi,ce jour-là, une balle perdue a fracassé notre porte d'entrée rue Général Fivé,alors que 5" avant nous étions tous sur le seuil..75 ans déjà….xawwwhoo
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