dimanche 9 mai 2010

10 mai 1940

Non je n'ai pas de souvenirs personnels de ce jour-là, mais il a évidemment changé ma vie.
J'avais 15 mois et j'habitais Etterbeek. Mon papa, René Thielen, avait été mobilisé. Comme il était "soutien de veuve", orphelin à 20 ans, et jeune marié depuis 2 ans avec un enfant à charge et un (on ne savait pas que ce serait une) enfant en attente pour juin 1940, il avait été affecté à un poste peu éloigné de la maison familiale, à Evere. GTA, Garde Territoriale Antiaérienne.
Leur outil de base c'était le canon et les soldats ne disposaient pas d'armes personnelles.
En arrivant sur le terrain ce jour-là après l'alerte de 5 heures qui avait réveillé Bruxelles, il a vu que tout était détruit. Les canons avaient été camouflés mais du ciel les aviateurs allemands voyaient parfaitement où se dirigeaient les pas des militaires. L'herbe écrasée dévoilait les objectifs.
Les autorités militaires faisaient le constat qu'Evere était inutilisable, elles décidèrent qu'on allait "défendre Paris" et qu'il serait bien que chacun se trouve une arme personnelle dans sa famille ou chez ses amis.
Papa est donc revenu à la maison. Il a demandé le fusil de mon grand-père à ma grand-mère (Léopoldine De Wolf-Ortmans que nous appelions Bobonne. Mon grand-père avait été percepteur de poste et le fusil (un Mauser je pense) servait à défendre la patrimoine familial après avoir défendu l'argent des Belges (les retraites, ...)
Ma grand-mère a refusé de donner le fusil. "C'est beaucoup trop dangereux". Et mon papa est parti à la guerre sans arme.
Sa colonne a été mitraillée (par des Stukas (?)) à Abbeville. Plus au sud dans la colonne des soldats se sont demandé "Qui sait où est Thielen ?" "Il a été tué à Abbeville".
La nouvelle est remontée lentement vers Bruxelles et ma maman s'est retrouvée virtuellement veuve.
Les amis scouts "routiers mariés" ont fait célébrer une messe à sa mémoire.
Un jeune oncle, Roger Reuliaux, vient m'emporter sur le petit siège arrière de son vélo, pour m'amener chez mes grands-parents maternels, à cent mètres de la gare de Schaerbeek. Bonne cible pour les bombardements. Mon oncle m'a dit plus tard qu'à la Porte de Tervuren nous avons rencontré l'armée allemande.
Le 22 juin ma maman accouchait d'une petite fille, Anny que par prudence ma maman esseulée appela officiellement Anne-Marie Annie, que l'on pourrait prononcer à l'anglaise une fois nos amis britanniques revenus.
Quelques semaines plus tard mon papa est rentré de Carcassonne. Défendre Paris était devenu défendre le Sud de la France où de nombreux Belges et pas mal de scouts étaient réfugiés. Et quand on apprit que les Allemands ne faisaient plus de prisonniers de guerre, les exilés sont rentrés petit à petit.
Afin d'éviter le travail obligatoire en Allemagne papa a trouvé du boulot d'électricien automobile chez Man Matinauto (Chaussée de Wavre près de la chasse Royale). Il ne savait pas encore qu'en 1943 il serait pris dans la poussière du bombardement d'Etterbeek.