vendredi 18 septembre 2009

Les légumes de la guerre

Aidez-moi. Je me souviens de : - petits pois à écosser et à trier, beaucoup de petits vers dans les pois - haricots princesses, ôter les fils - pommes de terre, retirer les pourries, ôter les jets ou mettre en terre les patates qui avaient trop de jets - ... J'aimais les navets (maintenant encore). J'aimais pas le céleri blanc et ses côtes dans la soupe. Je voudrais retrouver le goût du pourpier. Quels autres légumes oubliés ?

jeudi 17 septembre 2009

Mémoires écolières

Je pense avoir assemblé ces mots pour la première fois sur le web en 2004-2005. Mais je trouve aujourd'hui un texte de 2006 dans lequel je me retrouve fort.

http://christianeachour.net/data/albert%20camus/A%20193.doc

Par cette expression de « mémoires écolières », nous entendons la manière dont l’adulte, jeune ou plus âgé, reconstruit ses souvenirs sous l’influence, plus ou moins délibérée, de sa trajectoire de vie ultérieure. Une « mémoire écolière » a donc toujours une assise prise dans le réel qui assigne le texte à la sphère du témoignage et une « poétique » qui ordonne, sélectionne et vectorise le matériau de vie en œuvre de vie.

L'incendie du Palais de Justice

C'est aussi dans mes souvenirs.
Et dans les vôtres ?

De quels personnages les enfants parlaient-ils à la Libération ?

Churchill (en tête), Roosevelt, de Gaulle, Piron, Leclercq, ... Pierlot Quelle image du Roi Léopold en 1944 (le roi prisonnier, le Roi auquel on a prêté serment, le fils d'Albert Ier, celui qui a sauvé les soldats en capitulant en 40...°

Montgomery à Bruxelles

Une question : Montgomery est-il venu particulièrement au Rond-Point Saint-Michel (devenu plus tard square Montgomery) ?

A suivre

Dans mes souvenirs d'enfant de 5 ans je vais encore parler de :
- La chasse aux inciviques rue Nothomb à Etterbeek
- le vocabulaire d'un enfant à la Libération : déportés, prisonniers, réfractaires, inciviques, collaborateurs, résistants, ...
- vivre sous les bombardements, les abris, les schrapnells
- bras contre les murs en descendant du tram
- les avions célèbres : le Spitfire
- les boulettes de papier "mâché" qu'on faisait avec de vieux journaux (parfois des images d'Epinal!!!) pour se chauffer
- le froid, les gerçures, les engelures
- les vêtements : chauffe-coeur, moufles, galoches, couvertures en patchwork
- les travaux : crochet, tricot, point de croix
- l'apprentissage de la lecture
- écoles payantes et gratuites
- le petit matériel scolaire (ardoises, touches, ...)
- la fuite des Allemands
- les mots des langues : Bye bye, chedup (mais ça s'écrit autrement), bitte, danke schön, raus, papiere, ...
- le pillage des batiments en septembre 1944 (surtout au ministère des affaires économiques)
- le campement des soldats anglais dans le Parc du Cinquantenaire
- manger : les rutabagas, les pois, les harengs, les timbres de rationnement
- les retours de guerre : après l'exode ou la défense du sud de la France, les prisonniers, les résistants et les réfractaires qui se montrent en septembre 44, les déportés...

etc.

C'est une fleur de Paris

… C'est une fleur de Paris
Du vieux Paris qui sourit
Car c'est la fleur du retour
Du retour des beaux jours
Pendant quatre ans dans nos coeurs
Elle a gardé ses couleurs
Bleu, blanc, rouge
Avec l'espoir elle a fleuri
Fleur de Paris…
(Musique : M. Vandair ; paroles : H. Bourtayre, 1945)

[c'est aussi pour moi une des chansons de ma libération, mais c'est sans doute arrivé quelques mois plus tard]

It's a long way to Tipperary

It's a long way to Tipperary
It's a long way to go
It's a long way to Tipperary
To the sweetest girl I know
Good bye, Piccadilly
And farewell, Leicester square
It's a long, long way to Tippera-a-ry
But my heart stays there.


Nous répétions cette chanson dans l'attente de la Libération de Bruxelles, en 1944. Et nous l'avons chantée face aux chars au carrefour de la Chasse, début septembre.

Nous irons (on ira) pendre notre linge sur la ligne Siegrfried

Un des chants de la Libération de Bruxelles en septembre 1944.
Je me souviens de l'endroit exact où je l'ai chanté, à l'embouchure de la rue des Champs sur le carrefour de la Chasse

On ira pendre notre linge sur la ligne Siegfried
Un p'tit Tommy chantait cet air plein d'entrain
En arrivant au camp
Tout les p'tits poilus joyeux apprirent le refrain
Et bientôt le régiment
Entonnait gaîment:

Refrain :
On ira pendr' notre linge sur la ligne Siegfried
Pour laver le linge, voici le moment
On ira pendr' notre linge sur la ligne Siegfried
A nous le beau linge blanc.
Les napp's à fleurs et les ch'mis's à Papa
En famille on lavera tout ça
On ira pendr' notre linge sur la ligne Siegfried
Si on la trouve encore là.

Tout le monde à son boulot en met un bon coup
Avec un cœur joyeux
On dit que le colonel est très content de nous
Et tant pis pour les envieux
Tout va pour le mieux

Refrain
The washing on the Siegfried line
Mother dear I'm writing you from somewhere in France
Hoping this find you well
Sergeant says I'm doing fine "A soldier and a half"
Here's the song that we'll all sing
It w'll make you laugh

Refrain :
We're gonna hang the washing on the Siegfried Line
Have you any dirty washing mother dear ?
We're gonna hang the washing on the Siegfried Line
Cos' the washing day is here
Wether the weather may be wet or fine
We'll just rub along without care
We're gonna hang the washing on the Siegfried Line
If the Siegfried Line 's still there.

Ev'ry body's mucking in and doing their job
Wearing a great big smile
Ev'ry body's got to keep their spirits up to day
If you want to keep in swing
Here's the song to sing

Refrain

mercredi 16 septembre 2009

5 et 6 juin 2004. Mémoire du débarquement

À mes collègues enseignant(e)s impliqué(e)s dans la formation des enfants du préscolaire, et au dessinateur Royer. Au début mai 2004, je visitais, comme formateur de futures enseignantes d’école maternelle, des étudiantes stagiaires dans une école du village de Ransart, près de Charleroi. Dans une classe d’enfants de 3 ans, je venais de renouer le lacet d’une petite fille, et une autre enfant a passé la main sur mon front en remarquant : « Tu as des vagues là ». Dans 26 jours je serai retraité et j’ai reçu là un extraordinaire cadeau. Chaque fois que je verrai mes rides dans le miroir, je me dirai : « tempête en mer », « marée d’équinoxe ».

Mais cette nuit du 5 au 6 juin 2004, les vagues qui dansent devant mes yeux sont celles d’Omaha Beach, et des autres plages du débarquement de 1944.

Juin 2004, c’était mon dernier mois à l’école gardienne, ou au jardin d’enfants, comme on disait alors. À Etterbeek Sainte-Geneviève, une école de religieuses françaises. Ma maîtresse était sœur Henriette. Elle nous apprenait à lire et écrire (les psychopédagogues n’avaient pas encore mis d’interdit) sur des ardoises en carton, avec des touches emballées de papier. Garçons et filles s’initiaient au tricot, au picotage, à la charpie, au crochet, au point de croix… aux comptines, aux danses, aux récitations, aux chansons à gestes, … Une guerre qui n’en finissait pas. Dans le quartier, quelques mois plus tôt, le 7 septembre 1943 à 9h51, il y avait eu un horrible bombardement : 342 civils tués. J’avais 4 ans et demi mais je m’en souviens comme si c’était hier. Je vois encore les bombardiers américains très haut dans le ciel, comme des petites croix. Toutes les maisons écrasées dégageaient une horrible poussière, une poussière que j’ai revue lors de la destruction des tours de New York. Maman était affolée. Elle craignait que papa, qui était obligé de travailler comme électricien sur des camions allemands, ait été atteint.

Mais pendant une guerre on s’habitue à la mort. Il fallait bien passer devant les maisons dont il ne restait plus qu’un escalier accroché à la maison voisine. On avait eu faim mais surtout froid. Chaque hiver nos mains et nos pieds étaient crevassés d’engelures. Même les enfants vivaient dans la crainte des soldats ennemis. Les hommes de la Gestapo qui arrêtaient les trams, faisaient descendre tout le monde. Maman nous disait de mettre nos mains dans nos poches pour empêcher que « les résistants » n’y mettent des revolvers pour les cacher des Allemands avant la fouille. Je me souviendrai toujours de ces passants plaqués contre un mur du carrefour de la Chasse, les mains en l’air. Et j’ai encore dans les oreilles les bruits de bottes des patrouilles de nuit, et le hurlement des sirènes qui nous faisaient courir à la cave ou aux abris… À l’école gardienne nous nous réfugiions dans les sous-sols pendant que les avions passaient au-dessus de nos têtes. Parfois nous recevions du « Secours d’hiver » des cadeaux princiers : une petite tablette de chocolat et une fois un fruit au parfum inconnu, jaune, taché de points noirs : une banane. Chaque fois que j’en mange une, je pense à cette espérance de bonheur.

Et ce 6 juin 1944, Radio Londres a lancé son incroyable nouvelle : « ils ont débarqué en Normandie ». Dans beaucoup de familles, on a affiché au mur une carte de France ou d’Europe et piqué des épingles à tête de couleur. À chaque bonne nouvelle, on déplaçait les épingles. Des nouvelles des radios suisses, de Léopoldville ou de Londres (ça commençait par pom pom pom pom, le début de la 5e symphonie, et Paul Lévy disait quelque part « on les aura les Boches ») Victor de Lavaleye comme le V. La radio « embochée » de Bruxelles donnait aussi de précieux renseignements en parlant de victoires allemandes, mais des victoires de plus en plus proches de nous. Cette carte je l’ai vue avec une émotion de larmes dans Le Soir de ce 5 juin, un dessin de Royer en hommage à ses parents. Sans doute tous les petits enfants de cette époque se sont-ils reconnus devant la carte de France punaisée au mur, la miche de pain noir, les tasses d’ersatz de café et le poste de radio SBR. Merci Royer.

Trois mois plus tard, j’entrais à l’école primaire, et c’était la Libération de Bruxelles : les drapeaux fraîchement teints, les lampions, les jeunes filles sur les jeeps et les chars. Le chocolat Cadbury, le Coca, le cheming-gum… et surtout ce mets inconnu des enfants de la guerre : la Liberté. Aujourd’hui que tant de peuples vivent sous des occupations ou des guerres sans fin, en Palestine, en Tchétchénie, en Irak, au Congo… j’aimerais que pour eux aussi il y ait un Débarquement, une Libération et une Paix.

C’est le plus intense souhait d’un petit garçon qui vivait il y a 50 ans son dernier mois d’école maternelle, et qui vit aujourd’hui son dernier mois de formateur d’enseignantes de ce qui est devenu le préscolaire. Et comme on chantait en ce temps-là : « qu’est ce qu’on attend pour faire la fête, qu’est ce qu’on attend pour être heureux ?».

Paul Thielen. 5 et 6 juin 2004.

Septembre 1944. Mémoires d'un élève de 5 ans

3 septembre 2009.
Les 3 et 4 septembre 1944, il y a juste 65 ans, je quittais le "jardin d'enfants", comme on disait alors, et j'entrais en primaire. J'avais 5 ans, et demi, comme précisent souvent les enfants.
J'habitais Etterbeek, près du Carrefour de la Chasse. Le 3 au soir, un side-car britannique s'était aventuré jusqu'à la maison communale [une petite conversation avec Philippe Moureaux qui habitait de côté-là a précisé un jour mes souvenirs] . Les Belges avaient sorti leurs drapeaux mais les Britanniques constatant qu'il y avait encore des Allemands derrière eux, ont fait prudemment demi-tour.
Et chacun a rangé son drapeau jusqu'au lendemain. A moins que mon oncle Ernest et ma tante Louise qui habitaient rue Général Leman, entre l'avenue d'Auderghem et l'église Sainte-Gertrude, n'aient laissé le leur au premier étage de leur salon de coiffure.
La photo de leur drapeau est dans les livres d'histoire.
Toute la nuit du 3 au 4 nous avons préparé des drapeaux. Les gens sacrifiaient leurs draps de lit. Les teinturiers et les droguistes (le nôtre était sur le carrefour de la Chasse) faisaient des affaires. Les boutiques qui affichaient "deuil en 24 heures" fournissaient les bandes noires. Le jaune et le blanc étaient plus difficiles à trouver. On coupait, on déchirait, on cousait.
Les enfants composaient des drapeaux avec des crayons de couleur. Les pages de couverture intérieures du Petit Larousse offraient une aide précieuse. Mais on connaissait les variantes. Au milieu du drapeau français, on traçait pieusement la croix de Lorraine. Les drapeaux les plus difficiles : le canadien, l'anglais (avec son système de 3 croix à mettre dans le bon ordre). Le drapeau américain avec ses 48 étoiles et ses 13 bandes. On n'oubliait pas les pays occupés : Pays-Bas, Luxembourg... Encore une promesse de liberté. Pas de souvenir de drapeau soviétique mais il devait y en avoir car un peu plus tard chez un de nos libraires, une affiche annoncera : l'Armée Rouge arrivera la première à Louvain.
Nuit de folie. Papa préparait de petites lanternes à pendre sur une ficelle d'un côté à l'autre de la rue des Moissonneurs.
Nuit étrange par rapport aux nuits de guerre. Pendant la guerre chacun s’enfermait chez lui. On calfeutrait portes et fenêtres pour éviter que ne s’évade le moindre rayon de lumière. Des "stores" noirs devant chaque fenêtre. On les complétait par des bandes collantes obscures. Rien de comparable avec nos rubans scotch cristal. Si on oubliait d’éteindre le hall d’entrée un monsieur casqué, de la défense passive (cela me fait penser aujourd’hui aux maisons énergétiquement passives) venait donner un petit coup de sonnette. Dans mes souvenirs je le vois avec un seau de sable (pour étouffer des flammèches ?) Dans les rues de la guerre, trams et voitures occultaient aussi leurs phares par un cache seulement balafré d’une étroite ouverture verticale (ou en cas d'alerte roulaient tous feux éteints. La nuit c'était aussi les nuits de bombardements. Les sirènes réveillaient la maison. On ne courait pas à l’abri comme pendant le jour (il y avait pourtant un abri à 100 mètres de la maison, sous le cinéma Léopold, un long escalier descendant profondément dans le sol où m’on retrouvait les voisins). La nuit donc, à l’alerte de la sirène, on descendait à la cave sous une plaque de béton de quelques mètres carrés. On se retrouvait là pendant de longues minutes sous cet abri précaire. Je pense que ma grand-mère, décédée peu avant la Libération, restait dans sa chambre deux étages plus haut. Chacun choisissait : la recherche de sécurité ou le confort du lit. En hiver la maison était glaciale, on ne chauffait qu’une seule pièce, jusqu’à 17 degrés lorsque quelqu’un était malade.
Les nuits de guerre j’avais crainte de laisser ma fenêtre ouverte car j’avais peur des « réfractaires », des jeunes hommes passant leurs nuits à fuir les Allemands qui voulaient les faire travailler très loin. « Réfractaires » et « résistants », des amis que l’on craignait.
Mais cette nuit du 3 au 4 septembre, la peur était tombée. On préparait la joie du lendemain, l’arrivée de cette vague de libérateurs débarquée en juin sur les côtes de Normandie et dont sur des cartes affichées dans les maisons on suivait les avancées à l’aide de petites épingles drapeaux. Dans le Soir d’il y a quelques années, le dessinateur Royer a saisi d’un coup de crayon magique l’intérieur de nos maisons d’alors.
J’avais déjà écrit il y a 5 ans ma mémoire de petit enfant de guerre. Cela devient loin. J’écris avant d’oublier. Je dépose cela dans les vagues du web.
(à suivre)