lundi 11 mai 2015

Pierre Sterckx, un de mes amis d'enfance.

PIERRE STERCKX est parti visiter les Cités obscures, ou alors sont-elles lumineuses. A ses funérailles peut-être étais-je son plus ancien ami. Je l'ai connu à l'école de la rue Bruylants (près de l'actuelle station Thieffry) en septembre 1944. Il y a presque 71 ans. Né en février 1936 il avait juste 3 ans de plus que moi, je l'ai vécu un peu comme mon aîné. C'était le grand frère de mon meilleur complice, Paul Sterckx, Gerboise. Paul est mort tragiquement assez jeune, emporté sans que personne ne puisse le retenir. Lorsque Pierre et moi nous rencontrions nous évoquions Paul ou bien nous savions que l'autre y pensait.

C'était notre blessure commune. Pierre a été, selon mes souvenirs, mon sizainier louveteau chez les Rouges de la 7e BP, puis mon CP scout de la patrouille des Alouettes. Son totem était Perruche débonnaire. Il m'avait fait entrer profondément dans les livres d'Hergé. Lors de la cérémonie d'adieu à Uccle Benoit Peeters a raconté que pendant la guerre les parents Sterckx avait acheté à leurs deux premiers fils l'album le Lotus bleu en noir et blanc et que Pierre et Paul avaient pu colorier l'album. A l'école, j'arrivais souvent au matin à l'école avec le Tintin hebdomadaire dont le "maitre" lisait parfois le conte devant la classe. Pour moi aussi, sans doute à cause des deux frères, le Lotus bleu est resté un des livres le plus puissants de son époque. Le local louveteau avait été peint dans les années 40 d'un immense dragon copié du Lotus Bleu, par l'aumônier l'abbé Hauwaert et des membres de l'unité 7e BP parmi lesquels Pierre. Pierre. Un initiateur, explorateur, éclaireur. En rhéto à Saint-Boniface, il avait initié notre classe au jazz à la demande de l'abbé André Schroeter. Il était venu parler aussi du sujet : la photographie est-elle un art ? Tous deux nous étions impressionnés par le professeur Henri Van Lier (que parfois je trouvais logomachique, verbomoteur, mais génial). Pierre était un célèbre Etterbeekois surtout grâce à ses chroniques sur la TV française. Il a appris à des milliers d'humains à mieux apprécier l'art. A des étudiants, à des lecteurs, à des téléspectateurs. Salut Pierre !

samedi 9 mai 2015

10 mai 1940. C'est la guerre, ma guerre. 8 mai 1945, c'est ma paix!

J'avais presque 16 mois. Mais la guerre qui débutait allait tuer surtout des civils et tant d'enfants.

Pas de souvenirs personnels mais on m'a beaucoup parlé de ce début de guerre. Mon papa avait été mobilisé à la suite de l'invasion allemande de la Pologne. Comme il était "soutien de veuve", il avait ma grand-mère à sa charge, on lui avait donné une affectation proche de son domicile. Il était à la GTA (Garde Territoriale Antiaérienne) et veillait sur les canons de défense de l'aérodrome d'Evere (c'était avant Melsbroek et Zaventem).

Dès les premières attaques sur Bruxelles, au petit matin, il a rejoint son unité. Mais tout était déjà détruit. Les Allemands avaient longuement préparé l'attaque et même si les canons étaient bien camouflés, des photos aériennes révélaient clairement les passages dans les herbes vers les lieux de tir.

Le commandant a dit à ses hommes: "Comme nous ne pouvons plus défendre Bruxelles, nous allons aider à défendre Paris". Les Français étaient nos alliés seulement depuis le matin du 10 mai parce que la "neutralité" de la Belgique avait été bafouée pour la deuxième fois en 30 ans. Comme les armes antiaériennes ont été détruites autour de l'aérodrome, il faut trouver des armes personnelles dans son entourage personnel. Mon papa, René Thielen, revient à la maison, rue des Moissonneurs à Etterbeek, où ma grand-mère née Léopoldine De Wolf vit avec nous. Papa demande de pouvoir prendre le fusil Mauser hérité de mon grand-père. C'était son arme de fonction comme percepteur de postes à la Chaussée d'Anvers. Ma grand-mère refuse de céder le fusil : "c'est beaucoup trop dangereux". Et papa est retourné sans arme à Evere.

Maman se retrouve seule avec sa belle-mère, dite bobonne. Elle attend un enfant pour le mois de juin. Mon oncle Roger Reuliaux (15 ans mais presque 16) vient me chercher à Etterbeek pour m'amener chez mes grands-parents à quelques mètres de la gare de Schaerbeek. Il est en vélo et me met sur un petit siège en osier sur le porte-bagage. Il descend la rue des Moissonneurs, parcourt l'avenue de la Chasse, la place Saint-Pierre, grimpe l'avenue des Celtes. Roger Reuliaux et Paul Thielen rencontrent l'armée allemande qui fait son entrée triomphale dans Bruxelles par l'avenue de Tervuren. Allée prestigieuse avec ses imposants marronniers qui aurait pu être conçue pour une armée victorieuse. A 15 mois j'ai accueilli l'armée allemande à Etterbeek.

Les hommes de la GTA sont partis en colonne pour défendre la France. Au lieu de viser Paris, ils sont partis vers l'Ouest de la France en passant par Abbeville. Leur colonne s'étire sur des kilomètres et suit le même parcours que les réfugiés de ce qu'on a appelé l' "Exode". Il faut traverser la Somme et Abbeville est un goulot d'étranglement. Le 20 mai 1940 Abbeville est attaquée et détruite par les terribles Stukas. Quand j'étais petit on les appelait "bombardiers en piqué" et on mimait leur attaque de la main en imitant leur terrible sirène. Comme à Bruxelles, les défenses antiaériennes ont été détruites préalablement et il n'y a plus d'avions alliés dans le ciel. Personne ne sait combien de personnes sont mortes à Abbeville ces jours-là. Beaucoup de gens "de passage" disent les rapports.
L'avant de la colonne GTA a franchi la Somme et essaie d'échapper à l'encerclement de l'armée allemande qui referme sa nasse autour de Dunkerque. A un moment quelqu'un à l'avant demande "quelqu'un sait où est Thielen ?" On a répondu. "Il a été tué à Abbeville".


Pas de confirmation officielle. La plus grande confusion régnait dans la ville où l'on avait exécuté des citoyens ou résidents belges. Trois autocars belges avaient évacué vers le Sud des suspects d'espionnage ou de collusion avec l'ennemi.  Dont Léon Degrelle qui a eu la chance d'être débarqué à Dunkerque. Il avait été reconnu par des Français qui voulaient lui régler son compte et grâce à cela il a échappé au sort de ses codétenus dans ce que l'histoire a appelé le massacre d'Abbeville.

En mai 2020, j'ai retrouvé les archives de la GTA qui donnent jour par jour le parcours des militaires partis de Bruxelles vers le sud de la France. Ceux qui étaient à pied ou à vélo, on les a mis sur des trains pour Montpellier. La Belgique n'avait pas encore capitulé 

L'information sur la mort de mon papa est remontée en Belgique. Ma maman s'est vue veuve de guerre, se préparant à donner le jour à un enfant orphelin. Les amis de papa, ceux qui n'étaient pas descendus vers le Sud de la France (avec les CRAB, des jeunes à partir de 16 ans (à vérifier) que le gouvernement belge voulait préserver du recrutement par les Allemands), ont offert une messe à la mémoire de mon papa. 

Le 22 juin ma maman a accouché d'une fille. Mes parents avaient prévu de l'appeler Anny si c'était une fille. Mon papa était très anglophile. Pendant la guerre 14-18 il avait été évacué de Nieuport vers Folkestone où il passa la guerre dans l'école belge ouverte en ce lieu. A la maternité Baron Lambert elle avait dû se contenter de la salle commune car elle était sans ressources. Et ma soeur ne s'appela pas Anny, ma maman craignait d'être repérée par les Allemands en donnant un prénom anglophile à son enfant. On la déclara comme Anne-Marie ce qui a permis de l'appeler familièrement Annie depuis 75 ans.

En réalité mon papa n'était pas mort. Son groupe militaire, la GTA, est allé jusqu'à Carcassonne, et même jusqu'à Limoux, oui le Limoux de la Clairette, la boisson festive de ma fille Claire, et comme l'armée belge avait arrêté le combat, les survivants ne se sont pas désignés aux Allemands pour devenir prisonniers de guerre. En Belgique les Allemands (on disait les Boches) ne savaient que faire de leurs prisonniers qui s'enfuyaient à la moindre occasion, en faisant mine de rattacher leur lacet ou d'aller embrasser leur vieille maman.

Après quelques mois, les exilés ont estimé que les Allemands n'étaient plus amateurs de prisonniers. Beaucoup de Belges de l'Exode sont remontés lentement vers la Belgique. Papa a profité du flux et est rentré discrètement à la maison. Mon hypothèse est qu'il a profité du rapatriement massif des CRABs de la fin juillet à la fin aout 1940. Des anciens des CRABs, parmi lesquels il y avait de nombreux scouts m'en ont parlé quand j'étais petit.

Pour ne pas risquer d'être envoyé en Allemagne papa a trouvé du travail comme électricien automobile dans un garage de camions allemands chaussée de Wavre 1072, près de la Chasse royale. Il m'a dit que les ouvriers belges faisaient parfois de petits sabotages. Mais rien de spectaculaire car un camion qui aurait connu une panne peu après son passage au garage aurait entraîné des représailles. Et au moment la Libération on n'a pas bloqué la fuite des camions. En septembre 44, j'entendais surtout la phrase "Plus vite ils sont partis, mieux c'est".  


Voilà. En mai 1940 j'ai vu passer Porte de Tervuren l'armée allemande triomphante. En septembre 1944, au carrefour de la Chasse, j'ai vu sa fuite honteuse et l'arrivée libératrice des Alliés.
Et le 8 mai 1945 nous sommes descendus en ville pour fêter la capitulation.

Depuis 70 ans nous jouissons de la Paix européenne, "Pax europeana". Pour la Belgique et la France, tant d'années sans guerre et dans une Europe plus unie, c'est déjà ça.

Dernière mise à jour 17 mai 2020


jeudi 7 mai 2015

8 Mai. 70 ans de Paix

LE 8 MAI 1944. LA PAIX. Il y a 70 ans, j'étais en 1e primaire chez les Frères des écoles chrétiennes. Depuis 11 mois, depuis le débarquement en Normandie, comme des milliers de Belges, nous épinglions des petits drapeaux sur une carte d'Europe pour marquer la ligne de front pour les pays alliés. Les Pays-Bas et le Danemark n'étaient pas encore tout à fait libres. Et puis soudain : la fin des hostilités en Europe. Nous avons acheté Le Soir qui paraissait 6 fois par jour et nous avons pris le tram 25 (ou un de ses petits frères) pour descendre "en ville" au Centre de Bruxelles. Les gens étaient sur le toit des trams, agglutinés sur les marche-pieds, les pare-chocs, ... C'était la joie collective.
Et en quelques années et plus vite que dans les pays voisins, il y a eu la fin des timbres de ravitaillement, la reconstruction, l'Europe où l'on a accueilli les Allemands et les autres vaincus. Le monde nous appartenait à nous les enfants qui avions survécu aux bombardements et aux autres risques. Et à ceux qui rentraient des camps ou de l'exil. Et à ceux qui avaient connu le froid, la faim, la peur.