vendredi 27 juillet 2012

Bombardement du 7 septembre 1943

J'ai vu ce bombardement quand j'avais 4 ans et demi. J'étais devant le War Memorial à la rue Antoine Gautier. Même à 7000 mètres les bombardiers faisaient un vacarme épouvantable. Beaucoup de gens étaient affolés en particulier ma maman qui pensait que mon papa était au travail dans le quartier bombardé. Il y a encore maintenant des traces sur certains bâtiments surtout celui de la gendarmerie près de la gare d'Etterbeek.

Le bombardement d’Ixelles du 07/09/1943


En lisant le livre de Gaston Williot « Images quotidiennes de Bruxelles sous l’occupation » son récit du mardi 07/09/1943 avait particulièrement attiré mon attention.
Il y parle du bombardement du quartier Général Jacques X Couronne. Comme je travaille sur la commune d’Ixelles ce fait m’a immédiatement donné envie d’en savoir plus et de rechercher des traces de ce bombardement effectué par les B-17 de l’USAAF. Grand fut mon étonnement de voir que de nombreuses traces sont toujours existantes 62 ans après.

Mais laisser moi d’abord céder la parole à Gaston Williot : « C’était une journée atroce dont Bruxelles gardera un souvenir plein d’amertume et de tristesse. Journée injuste ; Journée cruelle ; La plus désolante certainement depuis le 10 mai.
Et pourtant le ciel était si bleu, si pur et si plein de riches clartés et de promesses au moment où vers 09.50 heures les grands oiseaux métalliques commencèrent à dessiner leurs cercles de fumée blanche au-dessus de la ville.
Quand l’alerte fut donnée, ils évoluaient déjà depuis plusieurs minutes sous les regards sympathiques de toute une population rassurée et confiante.
Il y en avait quelques-uns, là-bas du côté de la forêt de Soignes. Il y en avait d’autres – nombreux et en formation serrée, compacte – au-dessus d’Evere.
Et puis subitement il y eut un bourdonnement bizarre à nul autre bruit vraiment comparable, à peu près comme une tôle qu’on fait vibrer ou comme un train qui s’engage dans un tunnel. Dans les maisons, les portes et les fenêtres tremblèrent sous l’action d’un violent mais bref courant d’air. Personne n’eut l’impression qu’un double et rapide
bombardement venait d’avoir lieu. Cependant, on vit s’élever dans la direction de la gare d’Etterbeek un énorme nuage de fumée sale.

Une autre colonne de même fumée obscurcit le ciel au-dessus de Haeren. À ce moment il fallut bien se rendre à l’évidence : Bruxelles venait d’être touchée. Déjà les avions faisaient demi-tour et piquaient en direction du Nord-Ouest. »

Ensuite Mr. Williot relate la suite. Il raconte qu’il apprend que le quartier de la caserne de gendarmerie est atteint là où se trouve la maison de son frère, Rue Fritz Toussaint. Les rumeurs les plus folles sont colportées en même temps les secours affluent vers le lieu du drame. Gaston Williot parvient péniblement jusqu'à la maison de son frère où il constate et je le cite « d’un foyer confortable et intime, d’une maison heureuse, il ne reste que quelques murs, des tas de débris et enveloppés de blanc - de ce qui était ce matin encore un gentil et
robuste étudiant qui souriait à la vie : André Williot.
Et près de lui, repliés dans leur insondable douleur, ses parents. Il a donc suffi d’une seconde, d’un souffle pour casser net le sens, le but et le contenu de leur vie. »

Voilà donc le récit de Gaston Williot et avec tous les éléments qu’il me donne je débute ma petite enquête. Sachant que la caserne de la Gendarmerie De Witte- De Haelen fut touchée et qu’ils disposent d’un service d’archives, je commence donc dans les caves de cette caserne mes recherches. Heureusement leurs archives venaient d’être prises en charge par le musée de la police et tout ce qui touchait les guerres 14-18 et 39-45 venaient d’être répertoriées. Grâce aux indications du conservateur Mr. B. Mihail je trouvais assez rapidement quelques photos des dégâts occasionnés à la caserne encore occupé à cette époque par des éléments de la Wehrmacht et de la Feldgendarmerie ainsi qu’un livret écrit par un habitant du quartier qui avait connu le bombardement enfant et qui depuis lors s’était investi dans des recherches concernant l’événement. Une fois en possession de son identité il ne m’a pas fallu longtemps pour retrouver son adresse et me voilà sur le porche de la porte d’entrée de Mr. Albert Guyaux. Ce gentil monsieur était tout étonné de voir quelqu’un de ma génération s’intéresser avec enthousiasme à cet événement qui n’a jamais été cité comme fait marquant dans les livres d’histoire. Je lui ai expliqué que je faisais un reportage pour le magazine de notre club de reconstitution et ceci l’a particulièrement touché sachant que des jeunes gens d’une autre génération voulaient garder la flamme du souvenir animé. Il m’a montré ses correspondances avec les archives de l’armée Américaine, son manuscrit et toutes les copies des documents officiels qu’il détenait concernant cette tragique journée du 07/09/1943. Grâce à ses précieux renseignements nous pouvions déjà conclure à une bavure de l’USAAF. Tout un quartier a été rasé par erreur. Comment cela a t’il été possible ? Il faut retracer cette journée fatidique pour pouvoir le comprendre.

Le 07/09/1943 trois missions sont prévu par l’USAAF sur l’Europe. Ces trois missions rentrent dans le cadre de la nouvelle tactique appliquée pour disperser la chasse allemande sur trois routes aériennes fort éloignées les unes des autres.

Les trois objectifs sont :

1) L’aérodrome de Leeuwarden en Hollande
2) La base secrète de lancement de fusées à Watten dans le nord de la France.
3) Les ateliers de réparation de chasseurs et bombardiers allemands de la SABCA
situé à l’aérodrome de Haren côté Evere/Bruxelles

Les plus grosses formations sont destinées à la France (147 B-17 de la 3th Bombardment Division) et la Belgique (114 B-17 de la 1st Bombardment Division divisée en 8 groupes) tandis que la plus petite est destinée à la Hollande ( 29 B-24 « Liberators » de la 2nd Bombardment Division.

A la même heure partent pour Bruxelles trois formations de diversion comprenant 18 B-25 et 142 B-26 le tout escortés par 137 « Thunderbolts » pour Bruxelles et pour des autres destinations 150 « Spits » .

Dans le cadre de l’opération de ce 07/09/43
un total de 251 appareils quittent l’Angleterre à 07.55 Heures avec comme destination Bruxelles/ Evere. Le temps nécessaire à la mise en ordre de
bataille, il est 09.03 Heures lorsqu’ils franchissent la côte Anglaise.

Ensuite ils abordent la Belgique par Ostende pour
prendre l’axe de pénétration Roulers et Gand.
Aux environs de Bruxelles les huit groupes prennent un cap Nord-Est et pénètrent Bruxelles par Forest et St-Gilles. En raison de l’altitude (7000 mètres environ) un groupe de 12 forteresses volantes B-17 largues leurs bombes à hauteur de Forest. Elles termineront leur course sur Ixelles à 09.51 Heures. À 09.53 Heures les 11 autres groupes larguent leurs bombes sur l’objectif, les installations de la SABCA.

Ensuite ils retournent par Anvers et Knokke pour retraverser la manche et se disloquer à Orfordness au Nord de Ipswich. Il est alors 10.32 Heures.

Au moment où les Forteresses volantes se posent en Angleterre, à Ixelles les secours se mettent en route et au fur à mesure des évacuations on commence à dénombrer les victimes.
Le chiffre exact ne sera jamais connu mais on parle de 216 blessés graves dispersés dans les hôpitaux d’Ixelles, Etterbeek, Ste Elisabeth et Edith Cavell. Les tués seront du nombre de 282 civils ceci sans prendre en compte ceux qui moururent plus tard suite à leurs blessures dans les hôpitaux.
Il y a 27 morts à ajouter dans les caves de la caserne de la Gendarmerie Avenue de la Couronne. Il s’agissait de prisonniers en transit attendant d’être exécutés ou d’être déporté. Il s’agissait de prisonniers politiques et résistants arrêtés. Après la guerre il s’est avéré que bon nombre de résistants importants ont été exécutés et que leur mort a été attribué au bombardement de ce jour-là par les autorités Allemandes. Parmi eux se trouvait le Baron Jean Greindl chef de la filière d’évasion «Comète», le Lieutenant Parachutiste Léopold Vande Meerssche et Louis Pelet.

Une plaque commémorative se trouve toujours apposée à l’entrée de la caserne de la Gendarmerie côté Avenue de la Couronne.

Toujours en ce qui concerne les chiffres on compte entre 116 et 125 impacts au sol dont 1 bombe non explosée. Ce qui fait un nombre d’environ 120 et 130 bombes de 250 kg ce qui concorde avec le nombre qu’un groupe de bombardiers B-17 transportent dans leurs soutes.

Les bombes sont tombées en une seule vague ce qui est confirmé par tous les témoignages.
En effet tous les avions d’un groupe volant à la même hauteur lâchent leur bombes au signal du chef bombardier de leur groupe et ceci à la seconde même. Les relevés de l’IRM station sismique à Uccle confirment ceci par un court tremblement relevé à 09.49 Heures (Ixelles) et une plus intense et plus long à 09.51 Heures (Evere).

Mais comment était-il possible qu’un groupe ait pu se tromper ? Aucun rapport d’époque ne fait mention de cette erreur.

Ce jour-là il faisait beau et nuageux sur Bruxelles et il est fort possible qu’en sortant des nuages ce fameux groupe, qui n’était plus qu’à trois minutes de son objectif, ait cru voir soudainement le voir sous ses ailes. D’autant plus qu’ils volaient à plus de 7.000 mètres et que la configuration des lieux prêtaient sérieusement à confusion. Par le fruit du hasard ces deux lieux qui se ressemblaient vu du ciel se trouvaient également dans le même axe de vol, mais le quartier d’Ixelles venait en premier lieu.



Dans les deux cas on observe une bonne similitude des lieux à savoir la présence d’une vaste plaine (terrain d’aviation à Evere et le champ de manœuvre en face de la caserne, l’actuel V.U.B.)
La présence de grands bâtiments et casernes, une chaussée importante et un cimetière à droite de l’objectif (celui d’Ixelles et celui de Bruxelles pour Evere).

« Comment l’erreur a pu se produire. Le champ de manœuvre a été confondu avec l’aérodrome, les casernes comme les installations de la SABCA, le cimetière d’Ixelles avec celui de Bruxelles, Le boulevard Général Jacques avec la Chée de Haecht et la présence du chemin de fer pour compléter le tableau »


Il faut savoir qu’ au dernier stade du vol c’est le bombardier qui pilote l’avion au moyen d’une petite commande afin d’effectuer des petites corrections il est fort possible que celui-ci ait été gêné par la présence de quelques nuages et qu’en sortant de son champ de vision de son collimateur il crut voir soudainement sa cible et ait lâché ses bombes entraînant ainsi tous les autres membres de son groupe à faire la même chose.

Le vendredi 10 septembre une grande cérémonie eut lieu dans l’église de la place Ste Croix. Un convoi de trente camions portant chacun 4 cercueils était entouré de plusieurs pelotons de la gendarmerie, Police Bruxelloise, croix rouge et pompiers.

Après la cérémonie les 120 corps ont été inhumés au cimetière d’Ixelles dans une parcelle spéciale réservé aux victimes du bombardement comprenant 200 tombes déjà creusé à l’avance. Au fur à mesure que des corps étaient encore retirés des décombres ils étaient inhumés dans cette parcelle. Cela a duré jusqu’au 21 septembre. Par après d’autres victimes furent enterrées ailleurs.

Cette parcelle n’existe malheureusement plus mais une rangée de dix tombes subsiste toujours juste derrière la pelouse d’honneur pour les anciens combattants. Elles ne sont plus entretenues et ont été abandonnées à leur sort par la commune.
La commune d’Ixelles n’a encore rien pris comme engagement envers ces quelques « rescapés ».
Mais il est clair qu’ils sont presque devenus une part du patrimoine car encore souvent
des touristes funéraires demandent à voir les tombes des victimes du bombardement. Ils ne connaissent ni la date, ni les faits exacts mais ils savent qu’un bombardement meurtrier a eu lieu sur Ixelles, preuve qu’il s’agit quand même d’un fait marquant qui reste gravé dans la mémoire.

Par-contre la tombe d’André Williot le neveu de
l’auteur cité au début de cet article se situe ailleurs dans le cimetière, dans un caveau de famille et vient récemment à terme de sa concession. Pour qu’elle puisse subsister elle demande un « parrainage » qui n’est qu’une formalité administrative et n’engendre aucun frais sauf la promesse qu’on entretient soi-même la tombe.


Pour terminer cette article je citerais l’inscription sur la tombe d’André Williot qui 62 ans après sa mort et celle des autres victimes elle retrouve tout son sens :
« Son sang fut répandu pour le salut du monde »




Sources : extrait du livre » Bruxelles sous
l’occupation » par Gaston Williot

« Le bombardement d’Ixelles & Evere »
par Albert Guyaux

vendredi 6 juillet 2012

85e anniversaire de l'unité scoute 7e BP


  • 85e anniversaire de l'unité scoute 7e BP Etterbeek, et de l'unité 3GCB correspondante. A Lessive le 14 juillet 2012. J'ai des photos.
  • Ce samedi 22 décembre 2012, aux funérailles de l'abbé Gustave Stoop au Sablon, j'ai rencontré Jacques Vandenhove, "Hermine", que j'avais eu comme chef louveteau dans les années 40 (Meute Albert Deru). Lui et son épouse sont intéressés par des retrouvailles des très anciens.

Mémoires louvetières


MÉMOIRES LOUVETIÈRES
Il y a 65 ans, en 1947, je vivais mon premier camp louveteau avec la 7e, unité scoute d’Etterbeek. Nous partions pour Wespelaer, entre Malines et Louvain. Trajet en tram vicinal avec une plaque de destination : Haacht. Le matériel et les provisions faisaient la route en camion. À l’époque il n’était pas rare que des unités scoutes partent au camp en emportant tentes et matériel dans une charrette tirée à bras. En 1947, année si proche de la guerre, on ne trouvait pas facilement de nourriture. Le régime de cartes et de timbres de ravitaillement restait en vigueur. Et dans l’invitation au camp envoyée aux parents, outre le prix du camp, il y avait une longue liste : autant de timbres de pain, autant de timbres de viande, peut-être des timbres pour les œufs… Et pour les produits rares on devait amener en nature : bacon, gruau d’avoine, … Le local de la rue Bruylants devenait souk : bureau de réception et de rangement des timbres de couleur et sur le sol une vaste épicerie avec des boites de gruau hétéroclites (Quaker Havermout, et emballages variés) et des tranches de viande rose, brune.

Ce local souterrain, je l’avais découvert par les hasards de la guerre. Au temps de la Libération de Bruxelles (voir le vitrail de l’église de la rue de Tervaete), j’étais entré en première primaire à l’école de la rue Bruylants. À la première récréation nous avions ouvert nos boites à tartines et en rentrant à la maison j’ai dit « maman j’ai vu quelqu’un qui mangeait du pain blanc ». Elle m’a répondu : « ses parents se sont sans doute enrichis en faisant du marché noir ». La guerre n’était pas finie et régulièrement la sirène d’alerte nous envoyait dans les caves pour nous protéger des bombes et des V1. En explorant la cave de l’école, à l’insu du « maître », j’ai pénétré à quatre pattes dans un lieu magique, peint d’animaux étranges, avec des bancs de bois pour petits nains. Après la fin de l’alerte (j’ai encore dans l’oreille cette sirène lamentation de délivrance, on n’est pas encore morts cette fois-ci) je suis remonté en classe et j’ai oublié le chemin secret de la salle aux nains. Plus tard j’ai vu que c’était le local des louveteaux.
Lorsque j’eus 8 ans, début 1947, je pus enfin faire partie de la meute. Pourtant j’avais vécu dans le scoutisme avant d’être né. Mon papa réfugié en Angleterre pendant la guerre 14-18, après avoir risqué la mort à 8 ans à Nieuport en prenant les derniers bateaux sous les obus allemands, avait connu le scoutisme à Folkestone. En 1919 il retrouvait ses parents restés à Bruxelles et fit bientôt partie de la 21e unité à Notre-Dame de la Chapelle. Il resta dans le scoutisme avec ses amis des années 20 jusqu’à son décès en 1986. On disait alors « scout un jour, scout toujours ». Le scoutisme créa une branche de routiers mariés, appelés aussi routiers maitres puis fraternité de route. Avant d’être né, en l’été 1938, je fis mon premier camp scout sous tente, blotti dans ma maman. Après la guerre, nous participions à des grands camps avec tous les enfants du groupe de nos parents. 74 ans après mon premier camp, et il y a quelques jours encore en ce mois de juin 2012, les survivants se sont retrouvés, comme trois ou quatre fois par an.
Le scoutisme sort de la guerre glorieux et lourdement blessé. Beaucoup de scouts et de routiers résistants, torturés, réfractaires au travail obligatoires, déportés, morts. La meute où j’entrais portait le nom d’Albert Deru, une de ces victimes et nous continuions à porter le poids de ce passé récent. Mais alors que la guerre 14-18 s’était continuée par des décennies de vengeance, le scoutisme a très vite dit la réconciliation. Dès la Pentecôte 1946 le feu de Pentecôte rassemblait à Foy-Notre-Dame des routiers, les vainqueurs et les vaincus. Près de Dinant dans le village même où s’était arrêtée la jeep la  plus avancée de l’Offensive allemande sur les Ardennes. Ce feu que nous avons veillé c’était les premières flammèches de l’Europe. Et pour le scoutisme mondial ce fut le Jamboree de Moisson, le seul Jam en France, le "Jamboree de la Paix".
Quand je fis mon entrée à la Meute de la 7e (il n’y avait alors qu’une seule meute mais deux troupes, Faucons et Sangliers) c’était un peu des retrouvailles. Le local était déjà en contrebas de la cour de l’école. Des coins, aux différentes couleurs des sizaines, étaient disposés régulièrement sur le mur du fond. Noir, Jaune, Rouge, Bleu, … Les chefs ou les sizeniers formaient-ils une sizaine peut-être les Blancs (avec peut-être les seconds de sizaines) ? je ne sais plus. Y avait-il des Bruns ? Mais je me souviens bien que peu après mon arrivée on a peint dans le local le grand dragon du Lotus Bleu. Pour moi c’était l’amitié de Tintin et de Chang. Mon sizenier Pierre Sterckx (qui était né vers 1935) devint plus tard un des plus illustres tintinologues du monde et ami d’Hergé. Un mois (de mai ?) on créa des prix du sourire. J’obtins le prix du louveteau le plus souriant et fut totemisé « Rikki-Tikki-Tavi, la mangouste du Livre de la Jungle qui ose attaquer les cobras » et ma sizaine des rouges obtint un fanion. Ce devait être un fanion en forme d’écu, d’une substance blanche inconnue, trouvée dans un avion allié abattu dans les environs de la forêt de Soignes. Plus tard on sut que ce matériau mystérieux  s'appelait « plastique ».
Ce local était souvent assez sombre. Il me semble que les vitres des fenêtres étaient chaulées. Lorsque les loups se retrouvaient pour la messe de minuit à Noël (à cette époque l’église était pleine à craquer et il n’y avait même plus de place debout), on faisait un petit souper vers 19 heures et ensuite le local se transformait en dortoir parce que les jeunes n’avaient pas vraiment l’habitude d’aller coucher tard. Certaines réunions commençaient par la monstration des 5 objets du louveteau (crayon, carnet, mouchoir, ficelle, dizainier (un chapelet en roue dentée marquant 5 « je vous salue marie »)). Lieu de tous les jeux d’intérieur. Sans doute ne pratique-t-on plus le jeu dont le sommet était l’annonce « la jungle est agitée ». La base du jeu était de défier à la lutte un autre louveteau. Le gagnant pouvait se rasseoir pendant que le perdant désignait un nouveau challenger. Il pouvait choisir aussi de déclarer « la jungle est agitée » qui autorisait une bagarre générale.
Beaucoup de jeux très physiques. Plus encore chez les scouts. Le fameux « kikoukenakblok j’arrive » (orthographe phonétique) où on se jetait sur une rangée de garçons penchés les uns derrière les autres de façon à réaliser la plus importante pyramide de corps. Dangereux. J’ai encore le souvenir de ce jeu de quatre coins où l’on se faisait "fusiller" (cela faisait très mal) par des balles de tennis lancées à toute force. Il y avait des jeux plus paisibles. Un jeu où l’on traçait des cercles sur le sol et qui étaient des zones refuges contre les touches des chasseurs. Et le "roi entre les barres", venu tout droit du Moyen-Âge.
À l’époque les écoles paroissiales de filles et de garçons étaient encore séparées par un mur. Lorsqu’une balle passait le mur on faisait un « poentje », une courte échelle pour permettre le passage d’un récupérateur en territoire inconnu.
On chantait beaucoup à cette époque. C’était vrai aussi dans la vie civile, par exemple pour les ouvriers du bâtiment. Dix petits négrillons, au fond de l’océan les poissons sont assis.
Une fois par an, c’était la grande fancy-fair de la paroisse. Le vicaire Jacques Hemeleers consacrait l’essentiel de son apostolat à récolter des lots auprès des riches familles de son entourage, des entreprises catholiques, et des bienfaiteurs pour lesquels on n’oublierait pas de prier. Les assiettes mal cuites finissaient au « ménage de Caroline » où l’on pouvait à l’aide de balles dures assouvir ses pulsions de destruction ménagère. Les beaux lots étaient répartis grâce à un vogelpik sur la Roue de la Fortune. Il y avait bien sûr les « disques demandés ». Dans les années 50 il y avait les musiques de la Libération : « It's A Long Way To Tipperary », « Nous irons pendre notre linge sur la ligne Siegfried », « Etoile des neiges », « Ma cabane au Canada » et les inoubliables de Glenn Miller dont "In the Mood" vibre encore dans nos têtes.
Une année il y eut une activité extraordinaire : la Poste volante. À l’entrée dans la cour (au bas de l'allée actuelle) se trouvait sur la droite un bureau de poste. On pouvait y prendre un numéro que l’on épinglait sur soi. Des petits louveteaux déguisés en facteurs se chargeaient d’acheminer des messages. On allait au bureau de poste choisir une carte illustrée (fournie sur les vieux stocks de fin de guerre du libraire de l’avenue de l’Armée), on écrivait un message, on indiquait le numéro du destinataire, un des postiers parcourait la cour en tous sens à la recherche du ou de la destinataire et remettait la missive. Ce pouvait être « il est l’heure de rentrer à la maison » « ou mademoiselle vous êtes très jolie, voulez-vous venir boire un verre avec moi au bar ? »
À cette époque les immeubles de la Place du Roi Vainqueur n’étaient pas encore construits mais l’emplacement des caves était déjà creusé depuis l’avant-guerre. Côté Rinsdelle il y avait un déversoir assez sauvage qu’on appelait « steut ». Je suppose que cela vient de « storten ». On parlait beaucoup bruxellois dans l’unité. Les spécialistes étaient les frères Amand, grands maitres des volets mécaniques. Un jour on a posé quelques pierres entre la rue de Tervaete et la rue Bruylants. Certains disaient c’était pour une prison, d’autres pensaient à une nouvelle maison communale. Ce fut un monument à Louis Schmidt.
Ce quartier reste passionnant surtout grâce à sa mixité sociale. Parmi les scouts et les chefs certains travaillent comme ouvriers parfois depuis 14 ou 16 ans. Il n’y avait pas de patro dans le coin et le scoutisme accueillait donc plus de diversité qu’ailleurs. Dans les années 40 il y avait encore pas mal de traces d’un passé rural. Quelques champs de blé. Des restes de fermettes, des ânes rue Général Tombeur… Pour téléphoner de la rue des Moissonneurs à la rue Général Henry on passait par la demoiselle du téléphone en tournant une manivelle pour mettre du courant. Et la proximité relative de la Forêt de Soignes.
Quand nous allions en forêt c’était parfois à pied en passant par les champs de blé du Bemel, le Parc de Woluwe, … ou en prenant le tram 25, 35 ou 31 (qui allait de la porte de Tervuren à Boitsfort en passant par le Boulevard du Souverain, les rails enlevés plus tard ont été remis récemment). Pour Tervuren on descendait à Auderghem-Forêt et on allait à pied jusqu’aux Quatre-Bras pour éviter le supplément extra-urbain). Il nous arrivait de traverser sans problème la route du Mont-Saint-Jean ou la Nationale 4 où passaient tout de même quelques voitures.
Et aux grandes vacances il y avait les camps. Toujours autour du 21 juillet. Le 25 juillet, Jacques Hemeleers offrait la tarte. Quelques souvenirs de camps. Baudémont près d’Ittre. Une atmosphère lourde sur le château qui nous accueillait. Haut-lieu de la résistance. Des morts dans la famille suite à une dénonciation par des gens de Nivelles. Anecdote. Pendant un jeu de nuit un chef qui portait un louveteau sur les épaules a cru marcher sur le prolongement d’une prairie mais c’était la surface d’un étang.
Bevingen près de Ninove. Un souvenir : des animaux échappés de la pâture, sans doute à cause d’une clôture laissée ouverte par les gens du camp...
Glabais 1950. La vision d’une moissonneuse batteuse. On était habituée aux moissons à la faux. Nous sommes partis au camp dans un camion à charbon bien nettoyé. La Belgique vivait au bord de l’insurrection autour de l’affaire royale. Partout gendarmes, fusils chargés. Des clous à quatre points jetés par les manifestants sur les routes.
Moments des réunions. Il y avait deux réunions par semaine. En semaine le jeudi après-midi (de 17 à 19h ?). Les écoles étaient ouvertes le samedi matin et le jeudi après-midi permettait de souffler au lieu du mercredi actuellement. Le dimanche réunion sauf le 4e réservé aux réunions en famille ou pour moi aux réunions scoutes avec le groupe des parents.
Dimanche à 8 heures. Messe. L’unité se mettait du côté droit de l’église, face à la chaire de vérité. À hauteur du confessionnal où se trouve toujours le nom de l’abbé Preillon et des vitraux de la pêche miraculeuse et de la Libération de Bruxelles. Une fois par mois. Bassin de natation. La couque en face. Réunion l’après-midi ou toute la journée. Le dimanche soir nous étions parfois invités à un Monopoly chez le vicaire Jacques Hemeleers, rue de la Grande Haie. Les frères des écoles chrétiennes habitaient le logement siamois.
Après 4 ans il fallait bien « monter » chez les scouts. La Troupe du Faucon avait été incorporée dans celle du Sanglier. La cérémonie se passait souvent dans la cour devant les locaux, face à la plaque commémorant la création de l’unité (j’étais présent à l’inauguration de la plaque de 1951 pour les défunts au coin du bâtiment, il y a près de 60 ans).

On chantait « Tu fus-z-hier un bon louveteau, oh, oh » Et on se retrouvait dans le superbe local du Sanglier avec ses parures de chef indien, avec du vrai cuir. On nous disait que c’étaient les plus beaux locaux de la FSC. La 7e était célèbre aussi pour la qualité de la formation de ses chefs, sa participation à la création du camp permanent de La Fresnaye, par la présence de routiers comédiens.
Nous quittions l’univers du Livre de la Jungle. Avec son réservoir de totems de chefs. Nous avons eu un Mang quand les apparitions de Pierre Laroche (futur metteur en scène) se firent plus discrètes. Un Rama pour un costaud épisodique, un Frère Gris pur un conseiller spirituel complétant Père Loup. Un Wontolah pour un célibataire rare.
Un langage de chasseurs. Lorsqu’un de nos chefs se mariait j’étais souvent le louveteau chargé de donner le cadeau de la meute aux nouveaux époux. Et la dernière phrase était : « Bonne chasse, Akéla, Bagheera, Kaa… ». Avant d’embrasser la mariée.
Dans le scoutisme catholique on avait complété l’animalerie de Rudyard Kipling par celle du loup de Gubbio et de François d’Assise. Kipling et Baden Powell, symboles puissants de l’Empire britannique étaient adoucis par la douceur du Saint de l’Ombrie. Maintenant je me dis que si BP vivait encore il serait accusé de crimes de guerre pour avoir engagé des enfants soldats au siège de Mafeking.
Après la Jungle et l’Italie, nous entrions dans le monde des Indiens et de la Collection Signe de piste. Chez les louveteaux on nous racontait des histoires enfantines (un vieux chef de Saint-Gertrude, le Fontenelle prof célibataire à Saint-Boniface) racontait à chaque fin de réunion l’histoire de Petit Pierre, des milliers d’épisodes). On nous proposait à la veillée l’univers mâle de la Collection Signe de piste.  L’épopée du « Le relais de la Chance au Roy ».
 
Au bout de la carrière scoute nous étions devenus spécialistes de disciplines anciennes : les nœuds (y compris le nœud de carrick, nœud de chaise anglais, nœud de chaise double), du Morse, du Sémaphore, des signes de piste.
Dans la liste des signes, après les obstacles à franchir et les messages à trois pas, le dernier était : « Rentré au camp, rentré à la maison ». Je trace un cercle au bâton sur le sol terreux de cette mémorance, et je pose au centre un « caillou blanc ». En souvenir de ceux qui ont achevé la route.
Et je prononce un nom, celui d’un ami qui était le boute-en-train de la cour dallée de la rue Bruylants. Il est parti vers les 20 ans, emporté lentement par la drogue, sans que sa famille ni ses amis ne puissent le retenir. Je redis son nom avec frémissement, Paul Sterckx, Gerboise. Il habitait rue de la Grande Haie à deux pas du local. Et je pense à tous les destins singuliers de tous ceux qui furent pattes tendres à la septième.
De tous les mots écoutés pendant ces 4 ans de meute, entre 1947 et 1951, dans le local du sous-sol, celui que j’entends encore c’est le maitre-mot de Chil, le milan (on a dit vautour dans des adaptations) messager de la jungle. Quel message pour vivre en humanité !

« Nous sommes du même sang toi et moi »

Paul THIELEN.
Totem louveteau : Rikki(-Tikki-Tavi)
Maki chez les scouts


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Lors du grand rassemblement à Louvain-la-Neuve j'ai appris que le maître-mot de Rikki la Mangouste était "Cherche et trouve" ce qui correspond bien à mon travail de chercheur. Wikipedia la dit "Spontanée, battante, gaie". Très bien aussi. 

Fondation de la 7e BP : 1926 ou 1929 https://www.lesoir.be/art/%252Fun-anniversaire-charge-d-histoire-et-de-scouts-a-etterb_t-19961018-Z0CRPD.html