vendredi 27 juillet 2012

Bombardement du 7 septembre 1943

J'ai vu ce bombardement quand j'avais 4 ans et demi. J'étais devant le War Memorial à la rue Antoine Gautier. Même à 7000 mètres les bombardiers faisaient un vacarme épouvantable. Beaucoup de gens étaient affolés en particulier ma maman qui pensait que mon papa était au travail dans le quartier bombardé. Il y a encore maintenant des traces sur certains bâtiments surtout celui de la gendarmerie près de la gare d'Etterbeek.

Le bombardement d’Ixelles du 07/09/1943


En lisant le livre de Gaston Williot « Images quotidiennes de Bruxelles sous l’occupation » son récit du mardi 07/09/1943 avait particulièrement attiré mon attention.
Il y parle du bombardement du quartier Général Jacques X Couronne. Comme je travaille sur la commune d’Ixelles ce fait m’a immédiatement donné envie d’en savoir plus et de rechercher des traces de ce bombardement effectué par les B-17 de l’USAAF. Grand fut mon étonnement de voir que de nombreuses traces sont toujours existantes 62 ans après.

Mais laisser moi d’abord céder la parole à Gaston Williot : « C’était une journée atroce dont Bruxelles gardera un souvenir plein d’amertume et de tristesse. Journée injuste ; Journée cruelle ; La plus désolante certainement depuis le 10 mai.
Et pourtant le ciel était si bleu, si pur et si plein de riches clartés et de promesses au moment où vers 09.50 heures les grands oiseaux métalliques commencèrent à dessiner leurs cercles de fumée blanche au-dessus de la ville.
Quand l’alerte fut donnée, ils évoluaient déjà depuis plusieurs minutes sous les regards sympathiques de toute une population rassurée et confiante.
Il y en avait quelques-uns, là-bas du côté de la forêt de Soignes. Il y en avait d’autres – nombreux et en formation serrée, compacte – au-dessus d’Evere.
Et puis subitement il y eut un bourdonnement bizarre à nul autre bruit vraiment comparable, à peu près comme une tôle qu’on fait vibrer ou comme un train qui s’engage dans un tunnel. Dans les maisons, les portes et les fenêtres tremblèrent sous l’action d’un violent mais bref courant d’air. Personne n’eut l’impression qu’un double et rapide
bombardement venait d’avoir lieu. Cependant, on vit s’élever dans la direction de la gare d’Etterbeek un énorme nuage de fumée sale.

Une autre colonne de même fumée obscurcit le ciel au-dessus de Haeren. À ce moment il fallut bien se rendre à l’évidence : Bruxelles venait d’être touchée. Déjà les avions faisaient demi-tour et piquaient en direction du Nord-Ouest. »

Ensuite Mr. Williot relate la suite. Il raconte qu’il apprend que le quartier de la caserne de gendarmerie est atteint là où se trouve la maison de son frère, Rue Fritz Toussaint. Les rumeurs les plus folles sont colportées en même temps les secours affluent vers le lieu du drame. Gaston Williot parvient péniblement jusqu'à la maison de son frère où il constate et je le cite « d’un foyer confortable et intime, d’une maison heureuse, il ne reste que quelques murs, des tas de débris et enveloppés de blanc - de ce qui était ce matin encore un gentil et
robuste étudiant qui souriait à la vie : André Williot.
Et près de lui, repliés dans leur insondable douleur, ses parents. Il a donc suffi d’une seconde, d’un souffle pour casser net le sens, le but et le contenu de leur vie. »

Voilà donc le récit de Gaston Williot et avec tous les éléments qu’il me donne je débute ma petite enquête. Sachant que la caserne de la Gendarmerie De Witte- De Haelen fut touchée et qu’ils disposent d’un service d’archives, je commence donc dans les caves de cette caserne mes recherches. Heureusement leurs archives venaient d’être prises en charge par le musée de la police et tout ce qui touchait les guerres 14-18 et 39-45 venaient d’être répertoriées. Grâce aux indications du conservateur Mr. B. Mihail je trouvais assez rapidement quelques photos des dégâts occasionnés à la caserne encore occupé à cette époque par des éléments de la Wehrmacht et de la Feldgendarmerie ainsi qu’un livret écrit par un habitant du quartier qui avait connu le bombardement enfant et qui depuis lors s’était investi dans des recherches concernant l’événement. Une fois en possession de son identité il ne m’a pas fallu longtemps pour retrouver son adresse et me voilà sur le porche de la porte d’entrée de Mr. Albert Guyaux. Ce gentil monsieur était tout étonné de voir quelqu’un de ma génération s’intéresser avec enthousiasme à cet événement qui n’a jamais été cité comme fait marquant dans les livres d’histoire. Je lui ai expliqué que je faisais un reportage pour le magazine de notre club de reconstitution et ceci l’a particulièrement touché sachant que des jeunes gens d’une autre génération voulaient garder la flamme du souvenir animé. Il m’a montré ses correspondances avec les archives de l’armée Américaine, son manuscrit et toutes les copies des documents officiels qu’il détenait concernant cette tragique journée du 07/09/1943. Grâce à ses précieux renseignements nous pouvions déjà conclure à une bavure de l’USAAF. Tout un quartier a été rasé par erreur. Comment cela a t’il été possible ? Il faut retracer cette journée fatidique pour pouvoir le comprendre.

Le 07/09/1943 trois missions sont prévu par l’USAAF sur l’Europe. Ces trois missions rentrent dans le cadre de la nouvelle tactique appliquée pour disperser la chasse allemande sur trois routes aériennes fort éloignées les unes des autres.

Les trois objectifs sont :

1) L’aérodrome de Leeuwarden en Hollande
2) La base secrète de lancement de fusées à Watten dans le nord de la France.
3) Les ateliers de réparation de chasseurs et bombardiers allemands de la SABCA
situé à l’aérodrome de Haren côté Evere/Bruxelles

Les plus grosses formations sont destinées à la France (147 B-17 de la 3th Bombardment Division) et la Belgique (114 B-17 de la 1st Bombardment Division divisée en 8 groupes) tandis que la plus petite est destinée à la Hollande ( 29 B-24 « Liberators » de la 2nd Bombardment Division.

A la même heure partent pour Bruxelles trois formations de diversion comprenant 18 B-25 et 142 B-26 le tout escortés par 137 « Thunderbolts » pour Bruxelles et pour des autres destinations 150 « Spits » .

Dans le cadre de l’opération de ce 07/09/43
un total de 251 appareils quittent l’Angleterre à 07.55 Heures avec comme destination Bruxelles/ Evere. Le temps nécessaire à la mise en ordre de
bataille, il est 09.03 Heures lorsqu’ils franchissent la côte Anglaise.

Ensuite ils abordent la Belgique par Ostende pour
prendre l’axe de pénétration Roulers et Gand.
Aux environs de Bruxelles les huit groupes prennent un cap Nord-Est et pénètrent Bruxelles par Forest et St-Gilles. En raison de l’altitude (7000 mètres environ) un groupe de 12 forteresses volantes B-17 largues leurs bombes à hauteur de Forest. Elles termineront leur course sur Ixelles à 09.51 Heures. À 09.53 Heures les 11 autres groupes larguent leurs bombes sur l’objectif, les installations de la SABCA.

Ensuite ils retournent par Anvers et Knokke pour retraverser la manche et se disloquer à Orfordness au Nord de Ipswich. Il est alors 10.32 Heures.

Au moment où les Forteresses volantes se posent en Angleterre, à Ixelles les secours se mettent en route et au fur à mesure des évacuations on commence à dénombrer les victimes.
Le chiffre exact ne sera jamais connu mais on parle de 216 blessés graves dispersés dans les hôpitaux d’Ixelles, Etterbeek, Ste Elisabeth et Edith Cavell. Les tués seront du nombre de 282 civils ceci sans prendre en compte ceux qui moururent plus tard suite à leurs blessures dans les hôpitaux.
Il y a 27 morts à ajouter dans les caves de la caserne de la Gendarmerie Avenue de la Couronne. Il s’agissait de prisonniers en transit attendant d’être exécutés ou d’être déporté. Il s’agissait de prisonniers politiques et résistants arrêtés. Après la guerre il s’est avéré que bon nombre de résistants importants ont été exécutés et que leur mort a été attribué au bombardement de ce jour-là par les autorités Allemandes. Parmi eux se trouvait le Baron Jean Greindl chef de la filière d’évasion «Comète», le Lieutenant Parachutiste Léopold Vande Meerssche et Louis Pelet.

Une plaque commémorative se trouve toujours apposée à l’entrée de la caserne de la Gendarmerie côté Avenue de la Couronne.

Toujours en ce qui concerne les chiffres on compte entre 116 et 125 impacts au sol dont 1 bombe non explosée. Ce qui fait un nombre d’environ 120 et 130 bombes de 250 kg ce qui concorde avec le nombre qu’un groupe de bombardiers B-17 transportent dans leurs soutes.

Les bombes sont tombées en une seule vague ce qui est confirmé par tous les témoignages.
En effet tous les avions d’un groupe volant à la même hauteur lâchent leur bombes au signal du chef bombardier de leur groupe et ceci à la seconde même. Les relevés de l’IRM station sismique à Uccle confirment ceci par un court tremblement relevé à 09.49 Heures (Ixelles) et une plus intense et plus long à 09.51 Heures (Evere).

Mais comment était-il possible qu’un groupe ait pu se tromper ? Aucun rapport d’époque ne fait mention de cette erreur.

Ce jour-là il faisait beau et nuageux sur Bruxelles et il est fort possible qu’en sortant des nuages ce fameux groupe, qui n’était plus qu’à trois minutes de son objectif, ait cru voir soudainement le voir sous ses ailes. D’autant plus qu’ils volaient à plus de 7.000 mètres et que la configuration des lieux prêtaient sérieusement à confusion. Par le fruit du hasard ces deux lieux qui se ressemblaient vu du ciel se trouvaient également dans le même axe de vol, mais le quartier d’Ixelles venait en premier lieu.



Dans les deux cas on observe une bonne similitude des lieux à savoir la présence d’une vaste plaine (terrain d’aviation à Evere et le champ de manœuvre en face de la caserne, l’actuel V.U.B.)
La présence de grands bâtiments et casernes, une chaussée importante et un cimetière à droite de l’objectif (celui d’Ixelles et celui de Bruxelles pour Evere).

« Comment l’erreur a pu se produire. Le champ de manœuvre a été confondu avec l’aérodrome, les casernes comme les installations de la SABCA, le cimetière d’Ixelles avec celui de Bruxelles, Le boulevard Général Jacques avec la Chée de Haecht et la présence du chemin de fer pour compléter le tableau »


Il faut savoir qu’ au dernier stade du vol c’est le bombardier qui pilote l’avion au moyen d’une petite commande afin d’effectuer des petites corrections il est fort possible que celui-ci ait été gêné par la présence de quelques nuages et qu’en sortant de son champ de vision de son collimateur il crut voir soudainement sa cible et ait lâché ses bombes entraînant ainsi tous les autres membres de son groupe à faire la même chose.

Le vendredi 10 septembre une grande cérémonie eut lieu dans l’église de la place Ste Croix. Un convoi de trente camions portant chacun 4 cercueils était entouré de plusieurs pelotons de la gendarmerie, Police Bruxelloise, croix rouge et pompiers.

Après la cérémonie les 120 corps ont été inhumés au cimetière d’Ixelles dans une parcelle spéciale réservé aux victimes du bombardement comprenant 200 tombes déjà creusé à l’avance. Au fur à mesure que des corps étaient encore retirés des décombres ils étaient inhumés dans cette parcelle. Cela a duré jusqu’au 21 septembre. Par après d’autres victimes furent enterrées ailleurs.

Cette parcelle n’existe malheureusement plus mais une rangée de dix tombes subsiste toujours juste derrière la pelouse d’honneur pour les anciens combattants. Elles ne sont plus entretenues et ont été abandonnées à leur sort par la commune.
La commune d’Ixelles n’a encore rien pris comme engagement envers ces quelques « rescapés ».
Mais il est clair qu’ils sont presque devenus une part du patrimoine car encore souvent
des touristes funéraires demandent à voir les tombes des victimes du bombardement. Ils ne connaissent ni la date, ni les faits exacts mais ils savent qu’un bombardement meurtrier a eu lieu sur Ixelles, preuve qu’il s’agit quand même d’un fait marquant qui reste gravé dans la mémoire.

Par-contre la tombe d’André Williot le neveu de
l’auteur cité au début de cet article se situe ailleurs dans le cimetière, dans un caveau de famille et vient récemment à terme de sa concession. Pour qu’elle puisse subsister elle demande un « parrainage » qui n’est qu’une formalité administrative et n’engendre aucun frais sauf la promesse qu’on entretient soi-même la tombe.


Pour terminer cette article je citerais l’inscription sur la tombe d’André Williot qui 62 ans après sa mort et celle des autres victimes elle retrouve tout son sens :
« Son sang fut répandu pour le salut du monde »




Sources : extrait du livre » Bruxelles sous
l’occupation » par Gaston Williot

« Le bombardement d’Ixelles & Evere »
par Albert Guyaux

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